Point de biologie moderne sans
« omiques » ! Le bal a été ouvert
par la génomique (étude des
gènes d’un organisme). Lancée
dans les années 1970, la course
au séquençage des génomes
a culminé avec celui de l’être
humain, achevé en 2003. De
nombreux autres organismes
ont eu également les honneurs
de la génomique. Un gène peut
être transcrit en ARN, lui-même
est traduit en protéines. D’où les
deux autres grandes « omiques » :
la transcriptomique, étude du
transcriptome (ensemble des
ARN messagers produits dans
une cellule à un moment donné)
et la protéomique, dont il est
question dans ce dossier. À ces
trois disciplines, aujourd’hui
bien ancrées dans le paysage
scientifique, s’ajoutent des champs
de recherche plus récents ou
restreints : la métabolomique,
étude des métabolites, ou encore
la kinomique, celle des enzymes
kinases. La combinaison de
toutes ces approches conduit à
une vue globale et dynamique
du fonctionnement des cellules.
Les omiques
04
GRAND ANGLE
Malgré les progrès fulgurants en biologie moléculaire, la localisation des gènes dans
l’ADN et leur description (dite « annotation des génomes ») comporte des erreurs.
« Cela concerne près de 15% des gènes décrits chez de nouvelles espèces, notamment
dans la région où démarre leur transcription en ARN messagers, eux-mêmes traduits
en protéines », explique Jean Armengaud, directeur de laboratoire au CEA-IBEB à
Marcoule. D’où l’idée de son équipe de combiner la génomique et la protéomique.
Avec la protéogénomique les annotations du génome sont alors corrigées grâce aux
données du protéome, en particulier celles sur les extrémités N-terminales des protéines.
Un nouvel omique est né : la N-terminomique.
Protéo-génomique : combiner
pour corriger
Spectrométrie de masse
Technique qui permet d’identifier une molécule
selon sa masse et de définir sa structure chimique.
Chaque molécule est caractérisée par une signature
spécifique, son spectre.
n° 03 - novembre 2014 -
CEAbio
Protéines séparées en
fonction de leur taille sur
un gel d’électrophorèse.
© Inserm/P Latron
les mécanismes cellulaires, comprendre des
pathogenèses et déceler des maladies. Des
possibilités impressionnantes pour une science
aussi jeune, née il y a une vingtaine d’années
avec l’introduction du concept de protéome
par un biologiste australien, Mark Wilkins.
Décryptage automatisé
Les biologistes n’ont pas attendu ce concept
pour étudier les protéines. Mais jusqu’à la fin
des années 90, les méthodes pour les analyser
faisaient appel à la chimie et étaient peu
performantes.
« Les recherches ciblaient une
protéine particulière dont on étudiait la fonc-
tion,
raconte Jérôme Garin.
Identifier cette
protéine nécessitait de connaître sa structure
primaire, c’est-à-dire sa séquence en acides
aminés. Pour cela, il fallait décrocher un à un
chaque acide aminé qui la compose. »
Une
opération qui nécessitait une journée entière.
Aujourd’hui, plus de 5 000 protéines peuvent
être identifiées en seulement quelques heures
d’analyse ! Comment ce pas de géant a-t-il
été réalisé ?
« La chimie a cédé la place à la
physique,
répond Jérôme Garin.
Avec l’ana-
lyse des génomes, nous avons accumulé des
dizaines de milliers de séquences de protéines
de référence. La
spectrométrie de masse
*
nous a alors permis d’utiliser ces références
pour identifier de très nombreuses protéines
en parallèle. »
À partir du milieu des années
2000, l’informatique et les mathématiques ont
permis le développement d’algorithmes d’ana-
lyse toujours plus puissants qui ont abouti
au décryptage automatisé des spectres des
protéines.
Une discipline à part entière
Dès lors, la protéomique prend son envol.
Elle constitue aujourd’hui une discipline
scientifique à part entière. En France, une
quarantaine de laboratoires s’y consacrent,
dont le CEA-IRTSV et, en particulier, l’équipe
EDyP (Etude de la Dynamique des Protéomes)
du laboratoire de Biologie à grande échelle où
œuvrent de concert biologistes, biochimistes,
experts en spectrométrie de masse et infor-
maticiens. De la formation des gamètes aux
bioénergies, en passant par la découverte de
marqueurs de cancers, la protéomique inté-
resse aussi bien la recherche fondamentale
que le monde industriel.
«Décrire un protéome
reste un challenge énorme, mais le champ
des applications est immense,
assure Jérôme
Garin.
Le développement des mathématiques
appliquées à la représentation des données
biologiques facilitera leur analyse »
. L’avenir
de la protéomique s’annonce radieux.