Le constat
Avec le déclin de la biodiversité, la réduction de notre empreinte carbone pour limiter le changement climatique est l’une des urgences environnementales. Parler de « carbone » revient à parler de la concentration en CO2, le dioxyde de carbone, dans l’atmosphère. Le CO2 est le principal gaz à effet de serre, avec le méthane, et sur les 10 000 dernières années, son taux atmosphérique s’avérait très stable.
« Tout ce qui était émis dans l’atmosphère était ensuite capté via la végétation, le sol et l’océan. C’était un équilibre », décrit Philippe Ciais, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE), sous cotutelle du CEA.
La révolution industrielle, avec l’exploitation du charbon, du pétrole et du gaz naturel, a permis des progrès indéniables. Mais utiliser ces énergies fossiles « revient à relâcher dans l’atmosphère, en quelques secondes de combustion, du CO2 stocké depuis des millions d’années dans nos sous-sols », rappelle Thibault Cantat, directeur de recherche à la tête du programme « Économie Circulaire du Carbone » du CEA. Le cycle s’emballe alors, avec trop de gaz à effet de serre (GES) libérés par rapport à ce que les puits naturels et les écosystèmes re-capturent.
65 % de la consommation d'énergie finale en France en 2019 était d'origine fossile, d'après une étude menée par l'nstitut I-Tésé Du CEA. © CEA
« A l’heure actuelle, la moitié du carbone géologique émis par les activités humaines est réabsorbée par les puits de carbone, comme les sols, la végétation et les océans, indique Philippe Ciais. L’autre moitié reste dans l’atmosphère et favorise le changement climatique. » Et plus les émissions s’accumulent, plus l’effet de serre s’accentue et le réchauffement s’amplifie. Une réduction rapide et drastique des émissions de GES permettrait un ralentissement notable du réchauffement sous deux décennies, indique ainsi le rapport de synthèse du Giec publié en mars 2023.
3,2°C : c'est le réchauffement moyen qu'atteindrait la planète à l'horizon 2100 sans renforcement des politiques publiques actuelles. Il ne faudrait pas dépasser les 2°C pour rester dans les limites de nos capacités d'adaptation. © CEA
Le dérèglement
Le monde émettait moins de 10 milliards de tonnes de CO2 dans les années 1960, contre plus de 40 milliards aujourd’hui » chiffre Philippe Ciais, qui s’interroge sur une éventuelle saturation prochaine des puits de carbone.
Une étude, parue dans la revue Nature en 2021, démontre que la forêt amazonienne émet désormais plus de carbone qu’elle n’en capte. Le « poumon vert » de la planète est devenu fumeur, en raison de la déforestation.
En France aussi, les forêts commencent à saturer. Un rapport publié par l’académie des sciences au début de l’été montre qu’elles absorbent deux fois moins de CO2 qu’il y a dix ans. Les massifs des Hauts-de-France, de l’Est et de Corse sont même devenus émetteurs, phénomène qui pourrait toucher l’ensemble de l’Hexagone à partir de 2030. En cause ? Les sécheresses et les incendies, la prolifération de ravageurs comme les scolytes et une hausse des coupes de bois. Et cette situation se retrouve partout à travers le monde.
Les scientifiques parlent de « point de bascule » pour désigner ces moments où des composants du système Terre cessent de remplir leur rôle, voire deviennent contre-productifs. Certains changements resteront irréversibles : une forêt trop sèche, c’est une biodiversité qui souffre, et quand une espèce – végétale ou animale – s’éteint, elle ne renaîtra pas. Pour d’autres composants, un éventuel rétablissement est possible mais nécessitera des siècles, voire des millénaires, à l’image des calottes et des glaciers. L’élévation du niveau de la mer, quant à elle, se poursuivrait sur plusieurs siècles. D’où le besoin d’agir rapidement pour éviter de dépasser nos capacités d’adaptation.
8,9 tonnes es CO2, c'est l'empreinte carbone moyenne d'un Français en 2021. Un chiffre en baisse depuis 2005, mais encore trop haut pour atteindre les objectifs de neutralité. © CEA
Stocker le carbone
Pour l’Europe comme pour le gouvernement français, l’objectif est la neutralité carbone, c’est-à-dire de ne pas émettre plus de GES que les puits n’en absorbent.
Première piste : augmenter la captation naturelle du carbone
Pour les océans, difficile d’agir facilement et efficacement. Pour les forêts, il faut évidemment préserver l’existant, favoriser l’adaptation aux changements climatiques en cours et reboiser. Mais « difficile de quadrupler la surface de forêts du globe ! » reconnaît Philippe Ciais. D’autant que le reboisement ne doit pas se faire en concurrence avec les cultures alimentaires.
Deuxième piste : stocker le carbone dans les sols
L’initiative internationale « 4 pour 1 000 » parie plutôt sur le stockage dans le sol en passant par les plantes. Augmenter le stockage naturel de carbone dans les sols de 0,4% suffirait à compenser les émissions mondiales de GES. Les sols agricoles, souvent appauvris en carbone, présentent pour cela un fort potentiel, d’autant qu’y stocker du carbone améliorerait leur fertilité, et in fine le rendement économique et la souveraineté alimentaire.
Une équipe pluridisciplinaire impliquant le CEA cherche ainsi à mieux comprendre la fixation du CO2 dans les sols par les plantes et le microbiote associé. Ils ont montré, par exemple, que certaines variétés de mil stockent plus efficacement le carbone dans le sol que d’autres. « Via la photosynthèse, la plante transforme le CO2 de l’air en carbone organique. Les racines injectent en partie ce carbone dans le sol, où il est transformé en matière organique stable par le microbiote, montrant que la sélection variétale est une stratégie de mitigation du CO2 » explique Catherine Santaella, responsable adjointe du Biam, l’institut de Biosciences et Biotechnologies d'Aix-Marseille, et qui n’a pas participé à l’étude. « Les sols recouvrent une réalité très diverse selon les lieux et les usages, même en ne s’en tenant qu’aux terres agricoles, rappelle-t-elle. Former un sol est un très long processus, associant matière organique et matière minérale. » Pour réussir, l’initiative 4 pour mille implique donc de revoir en profondeur les pratiques agricoles.
Utiliser le carbone
En plus de chercher à « doper » les puits de carbone, il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre. Une sobriété énergétique s’impose, de même que trouver des alternatives aux énergies fossiles et à la chimie dépendante du pétrole. L’électricité bas carbone constitue une solution mais n’est pas applicable partout.
« L’aviation et le transport maritime longue distance ne pourront pas être électrifiés par exemple, contrairement aux voitures, signale Thibault Cantat. Il leur faudra toujours des carburants et ceux-ci ne devront pas être fossiles. »
La piste des biocarburants est bien connue, mais implique une production toujours gourmande en carbone et entraîne des conflits d’usages avec l’alimentation. Le CEA explore une autre voie : celle des carburants de synthèse. « Il s’agit par exemple de capter du CO2 et de le transformer avec de l’hydrogène bas carbone, sur lequel le CEA a une forte expertise, pour créer des carburants liquides, détaille-t-il. Avantage : ces carburants de synthèse sont équivalents à ceux actuels et ne nécessitent pas de changer les infrastructures et les motorisations. »
De quoi faire du CO2 une ressource et non plus un déchet ! Attention toutefois : cette économie circulaire du carbone a besoin d’énergie, elle ne peut se penser qu’en parallèle du développement d’électricité bas carbone. « La transition énergétique implique une vision programmatique, pour que les solutions soient complémentaires et non concurrentes », rappelle Thibault Cantat.
Pour l’instant, les carburants de synthèse restent six à sept fois plus cher que le kérosène classique. La maturité industrielle, sur laquelle travaille le CEA, devrait permettre une baisse des coûts. La règlementation européenne « Fit for 55 », dont les premiers textes ont été publiés au début de l’été, va aussi favoriser le changement d’échelle, en fixant une part obligatoire de carburants durables pour l’aviation. « Mais cela ne doit pas empêcher une réflexion de fond sur les usages de l’avion et sur nos modes de vie ! » met en garde Thibault Cantat.
« Ces travaux, pour l’instant très fondamentaux, ne peuvent être qu’une partie de la solution et uniquement pour maintenir la neutralité carbone. L’atteindre demandera d’abord une réduction de la consommation », renchérit Vincent Artero, directeur du Laboratoire de chimie et biologie des métaux, sous la cotutelle du CEA, du CNRS et de l’université Grenoble Alpes. Si l’action est encore possible face au changement climatique, des choix doivent avoir lieu et nécessitent un engagement des acteurs privés et publics sur plusieurs décennies. Le CEA peut contribuer à cette coordination grâce à sa vision d’ensemble de la chaîne de valeur, de la recherche fondamentale à l’industrie. Car préparer l’avenir ne se conçoit que si l’on soigne le présent.
Le CEA engagé pour la loi de programmation
sur l’énergie et le climat
La loi de programmation
sur l’énergie et le climat (LPEC) sera débattue cet automne, pour fixer
les grands objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie et
de la stratégie nationale bas carbone. Fort de son approche intégrée, le
CEA a identifié cinq leviers pour atteindre l’objectif « net zéro » :
- construire un mix de production bas carbone diversifié assurant
souveraineté et compétitivité,
- développer un système électrique plus
flexible et son couplage avec les autres formes d’énergie,
- réduire les
consommations et l’empreinte carbone,
- réunir les conditions d’émergence
d’une filière hydrogène et carburants de synthèse
- et enfin renforcer
l’économie circulaire.
Télécharger la vision du CEA "Penser le mix énergétique"