En septembre 2022, les gazoducs Nord Stream acheminant du gaz naturel de la Russie vers l'Allemagne subissaient des explosions. Les fuites occasionnées ont relâché dans l'atmosphère une grande quantité de méthane, puissant gaz à effet de serre, soulevant des questionnements sur l'impact climatique de cet évènement.
En parallèle des premières estimations, largement sous-estimées et obtenues sur la base des mesures atmosphériques, le programme des Nations-Unis pour l'Environnement (PNUE) a mis en place un groupe de travail international pour déterminer plus précisément la quantité de méthane relâchée dans l'environnement. Regroupant une vingtaine d'équipes de recherche, dont deux du CEA, il livre des résultats qui s'accordent sur un volume de 465 000 tonnes (+/- 20 000). Il s’agit de l’émission de méthane la plus importante
jamais mesurée pour un seul évènement transitoire ; évènement unique
comparable à l’émission de la circulation annuelle de 8 millions de véhicules !
La modélisation de l'évolution temporelle du débit de la fuite
Auparavant, diverses études ont essayé de quantifier les quantités de gaz relâchées à partir de mesures atmosphériques ou satellitaires, sans toutefois parvenir à des résultats cohérents avec les estimations de méthane stocké initialement dans les gazoducs. « D'une part, Il s'avère que l'atmosphère ne repère pas les premières heures d'émissions dues aux fuites alors que ce sont les plus intenses », indique Antoine Berchet du LSCE (CEA/CNRS/UVSQ).
D'autre part, la principale difficulté résidait dans l'estimation de l'évolution temporelle du débit de fuite, alors inconnue. C'est pourquoi une équipe de la Direction des énergies (DES) du CEA fait partie de ce projet du PNUE, forte de son logiciel Cathare, développé depuis 1979 en partenariat avec EDF, Framatome et l'IRSN pour les études de sûreté des réacteurs nucléaires. « Ce code peut notamment prédire le débit sortant par une brèche d'un circuit à partir de caractéristiques géométriques et de conditions thermohydraulique initiales. Il a vu ses capacités de modélisation s'étendre à de nombreux fluides dont le méthane, ce qui a permis son utilisation pour cette étude », explique Raphaël Préa du CEA-Isas à la DES.
En utilisant les données géométriques des gazoducs (longueur, diamètre, ...) et les conditions initiales au moment des brèches (pression et température du gaz), son équipe a calculé les évolutions des débits de méthane issus des fuites (estimant en conséquence la quantité de méthane dispersée).
Suivre le transport dans l'atmosphère du panache de méthane
En parallèle, une équipe du LSCE a utilisé les relevés de stations du réseau européen d'observation Icos qui mesurent en continu les concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre dont le méthane. Il se trouve que le panache de méthane issu des fuites a été transporté dans l'atmosphère au gré des vents autour de la mer Baltique où il a pu être détecté par les stations les plus proches. « En s'appuyant sur le modèle de chimie-transport français Chimere, nous avons pu suivre le panache de méthane et ainsi calculer une autre estimation de la quantité de méthane relâchée par les gazoducs « Nord Stream » lors des brèches. Les estimations issues des deux approches sont très cohérentes ce qui conforte les résultats », précise Antoine Berchet.
En effet, tous les résultats ont été comparés avec ceux des autres groupes de recherche ayant utilisé des mesures aériennes, sous-marines ou encore satellitaires. Ils soulignent l'importance des moyens de détection et de quantification des émissions de méthane, et la pertinence de l'utilisation de techniques variées et complémentaires.