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Iodes radioactifs et cancers de la thyroïde : les leçons de Tchernobyl et Fukushima



Une revue publiée dans le journal Endocrine par des chercheurs du Laboratoire de Cancérologie Expérimentale (IRCM / CEA-Jacob) compare les conséquences des accidents nucléaires de Tchernobyl et de Fukushima sur le niveau d'exposition aux radiations ionisantes des populations vivant à proximité des centrales. Le risque de développer un cancer de la thyroïde radio-induit suite à la contamination par les iodes radioactifs est discuté en fonction des données récentes de dosimétrie, de la prise en charge des populations, de la carence ou non en iode alimentaire et des prophylaxies par l'iodure de potassium inhibant la captation des iodes radioactifs par la thyroïde.

Publié le 1 décembre 2020

​Lors des deux grands accidents de centrales nucléaires, Tchernobyl en 1986 et Fukushima en 2011, d'énormes quantités d'iodes radioactifs ont été libérées dans l'atmosphère. Tous les isotopes d'iodes radioactifs ont des demi-vies courtes, avec une perte de la moitié de leur activité radioactive en quelques heures à quelques jours. Le risque de contamination persiste pendant quelques semaines après l'accident.

Lors de ces accidents, les populations ont été contaminées par inhalation d'iodes radioactifs, et par ingestion de nourriture contaminée et produite localement (les végétaux et particulièrement le lait). L'iode se fixe au niveau de la glande thyroïde qui l'utilise pour synthétiser ses hormones. Les iodes radioactifs fixés entrainent une exposition du tissu thyroïdien aux radiations ionisantes. La concentration des iodes radioactifs peut devenir particulièrement importante chez les enfants, dont la glande est beaucoup plus petite, ou chez les personnes présentant une carence en iode, ce qui augmente alors l'absorption thyroïdienne de l'iode radioactif. Pendant l'enfance, la thyroïde est très radiosensible en raison de la prolifération des thyrocytes – les cellules qui produisent et sécrètent les hormones thyroïdiennes – et l'exposition aux radiations ionisantes augmente significativement le risque de développer un cancer radio-induit (R) pour des doses d'au moins 50 mGray (mGy) à la thyroïde, cinq à dix ans après l'exposition. L'effet d'une exposition aux radiation ionisantes chez l'adulte, après la période de forte radiosensibilité de la thyroïde, n'est pas démontré.

Dans une revue publiée dans le journal Endocrine, des chercheurs du Laboratoire de Cancérologie Expérimentale (IRCM), de Gustave Roussy (Villejuif) et un spécialiste de la radioprotection (EDF), comparent les conséquences des accidents nucléaires de Tchernobyl et Fukushima sur le niveau d'exposition aux radiations ionisantes des populations vivant à proximité des centrales.

À Tchernobyl, les doses reçues à la thyroïde étaient comprises pour la majorité des personnes exposées entre quelques mGy et 100-500 mGy. À Fukushima, les doses à la thyroïde varient de 1-2 mGy à 20 mGy. De fait, une partie des enfants exposés à Tchernobyl et la quasi-majorité des enfants à Fukushima l'ont été par de faibles doses d'exposition (<50 mGy) pour lesquelles les méthodes statistiques de l'épidémiologie conventionnelles ne sont pas applicables pour estimer un risque de développer un cancer de la thyroïde radio-induit associé à l'exposition. En effet, la fréquence des cancers radio-induit diminuant avec la dose, si ces faibles doses induisent des cancers de la thyroïde, l'excès n'est pas significatif au regard du nombre de cancers spontanés (S) qui augmente avec l'âge. Une augmentation de l'incidence des cancers de la thyroïde a aussi été retrouvée dans une moindre mesure chez les adultes, mais elle est vraisemblablement due à une augmentation du dépistage et ne peut pas être attribuée au radiations ionisantes libérées lors des accidents.

Pour définir l'étiologie des cancers de la thyroïde et mieux définir les risques suite à une exposition à de faibles doses, il faut pouvoir distinguer les cancers de la thyroïde R et S, qui présentent pourtant les mêmes caractéristiques cliniques, anatomo-pathologiques et mutationnelles. La revue identifie des signatures moléculaires* robustes et prometteuses, permettant de discriminer les tumeurs de la thyroïde R et S.

Les chercheurs reviennent également sur les mesures prophylactiques à mettre en œuvre en cas d'accident nucléaire, et en particulier la distribution aux populations de tablettes d'iodure de potassium qui sature la thyroïde, empêchant alors la fixation des iodes radioactifs. Ils rappellent que ces tablettes sont à administrer en priorité aux enfants, particulièrement sensibles, et aux femmes enceintes pour protéger le fœtus. De telles mesures associées à l'évacuation des populations et des restrictions alimentaires permettent de limiter efficacement la dose reçue à la thyroïde en cas de contamination par les iodes radioactifs.

Les conséquences de l'accident de Tchernobyl montrent clairement que les populations vivant à proximité d'une centrale nucléaire doivent être protégées en cas d'accident par des abris, des restrictions alimentaires et une prophylaxie de l'irradiation de la thyroïde par l'administration d'iodure de potassium. Ces contre-mesures doivent être appliquées en priorité aux enfants, adolescents et aux femmes enceintes ; elles sont sûres et efficaces.



*    Fruit d'une collaboration entre le CEA de Fontenay-aux-Roses, le campus Gustave Roussy et l'Hôpital Pasteur de Nice, l'identification en 2011 et 2013 de marqueurs moléculaires permet de connaître l'origine de certains cancers de la thyroïde. Ces « signatures » distinguent les tumeurs spontanées des tumeurs radio-induites (dues à une radiothérapie ou un accident nucléaire). 

Comparison of Transcriptomic Signature of Post-Chernobyl and Postradiotherapy Thyroid Tumors I Thyroid

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