Les mœurs
planctoniques
mises à jour
es organismes planctoniques
ont-ils une « vie sociale » ? Leur
coexistence se résume-t-elle à une
simple concurrence pour leurs res-
sources? L’analyse des données génomiques a
donné des indices sur le fonctionnement des
écosystèmes planctoniques, une dimension
jusqu’ici largement méconnue. Elle a mis en
évidence différentes formes d’interactions
planctoniques (compétition, collaboration,
prédation, symbiose, parasitisme), dont cer-
taines inconnues jusqu’alors, impliquées dans
des processus majeurs, tels que la séquestra-
tion du carbone et la photosynthèse.
L’article consacré aux eucaryotes donne un
premier indice. Il souligne une remarquable
abondance d’ADN ribosomaux typiques de
prédateurs, parasites ou espèces symbiotiques.
La
photosynthèse
*
est réalisée par des pro-
tistes de petite taille et peu variés. Or elle est
aussi présente chez des espèces eucaryotes
plus grosses qui internalisent les premiers,
créant une relation dite d’endosymbiose. Et
ce n’est qu’un exemple...
Un parasitisme à haute fréquence
Un des articles
1
de la série de
Science
se
consacre spécifiquement à cet aspect. Ici, toutes
les échelles de taille ont été prises en compte,
des virus auxmétazoaires. Les scientifiques ont
d’abord vérifié que les facteurs environnemen-
taux ne suffisent pas à expliquer la structure des
communautés planctoniques. Puis ils ont étudié
les interactions entre organismes, et ont réperto-
rié les associations significatives de différentes
espèces, qui ne sont pas dues au hasard. De
nouveauxmodèles numériques ont pu être ainsi
construits, proposant une sorte de cartographie
de toutes les interactions au sein d’une com-
munauté, appelée «interactome». Ces modèles
permettent de prédire les interactions au sein
des communautés planctoniques. Prédictions
confirmées par l’analyse d’échantillons par des
techniques de microscopie de pointe.
Les fausses associations correspondent à
deux organismes indépendants l’un de l’autre
mais ne pouvant vivre que dans les mêmes
conditions environnementales. Le reste est
hautement révélateur. Par exemple, deux or-
ganismes se trouvant systéma-
tiquement couplés dans les
échantillons entretiennent
probablement une relation
de symbiose. Si un orga-
nisme A est présent sys-
tématiquement dans les
échantillons contenant un
organisme B, alors que ce
dernier peut vivre sans
le premier, alors il y a
des fortes chances que
A soit un parasite de B.
Ces associations parasitiques
se sont révélées les plus
abondantes dans les échantillons. À l’opposé,
si lorsqu’un organisme est présent, l’autre n’y
est jamais, et vice-versa, ils sont proba-
blement en compétition pour la même
niche environnementale, et s’excluent
mutuellement.
Pour Éric Pelletier, «
la fréquence
élevée du parasitisme dans les com-
munautés planctoniques est une dé-
couverte déterminante. Ces premiers
résultats permettront, à terme, d’élucider
le fonctionnement des chaînes alimentaires et
prédire la dynamique des écosystèmes océa-
niques
». Il semblerait d’ores et déjà que les
écosystèmes planctoniques fonctionnent plus
comme des sortes de «super-organismes» que
comme de simples juxtapositions d’espèces
indépendantes.
L
INTERACTIONS BIOLOGIQUES
1
Determinants of community structure in the global
plankton interactome; Lima-Mendez, Faust, Henry et al.
CEAbio
- n° 05 - juillet 2015
Photosynthèse
Processus bioénergétique qui permet aux plantes
et à certaines bactéries de synthétiser, à partir de
dioxyde de carbone, de l’eau et des sels minéraux,
de la matière organique en exploitant la lumière du
soleil. Les écosystèmes photosynthétiques constituent
des pièges à carbone.
Différents types de
plancton (dinoflagellé,
diatomée...) récoltés
sur le même site lors de
l’expédition Tara Océans.
© J.Dolan/CNRS/Tara Expéditions
11
GRAND ANGLE
20
μ
m
Emiliania huxleyi
© M. Carmichael - N. Le Bescot/
EPPO/SB Roscoff/CNRS
Oxytoxum milneri
© M. Carmichael - N. Le Bescot/EPPO/
SB Roscoff/CNRS
Microplancton.
© M.Ormestad/
Kahikai/Tara Océans