e plancton ne peuple pas unifor-
mément les océans. Transportées
par les courants, façonnées par
les conditions environnementales
locales, les communautés planctoniques dif-
fèrent selon les coins de la planète. Peut-on
les cartographier ? Un des buts de l’expédition
Tara Océans était justement d’établir un atlas
planétaire du plancton.
Première approche des chercheurs de Tara:
pister et étudier les virus marins ! En compa-
rant les abondances de gènes viraux entre
communautés voisines, ils ont pu retracer les
«migrations » des virus et indirectement, des
populations qu’ils infectent. La structure des
communautés virales, et par extension, planc-
toniques, s’est révélée très étroitement liée aux
grands courants bien connus des océanolo-
gues. Mais le transport passif du plancton ne
suffit pas à expliquer sa répartition mondiale.
Quels sont les autres facteurs à l’œuvre ?
Un des articles
1
paru dans Science se
consacre à un phénomène circulatoire très
particulier, bien connu des océanologues : les
«anneaux des Aiguilles». Ces vastes tourbillons
(jusqu’à 300km de diamètre) sont créés par
le courant des aiguilles
2
dans l’océan Indien,
à la pointe de l’Afrique du Sud, et dérivent en
tournant pendant plusieurs années à travers
l’Atlantique Sud en direction des côtes brési-
liennes. Ils transportent ainsi dans l’Atlantique
de l’eau de l’océan Indien qu’ils ont piégé au
moment de leur formation. Au cours de Tara
Océans, des prélèvements ont été effectués
dans deux de ces tourbillons
3
, l’un venant de
« naître » près des côtes africaines et l’autre,
« âgé » de neuf à dix mois, ayant déjà effectué
une partie de sa migration.
D’un océan à l’autre
Résultat : la composition génomique du
plancton dans ces deux anneaux diffère déjà.
L’intense brassage vertical, dû aux conditions
météorologiques extrêmes à ces latitudes
4
,
les « quarantièmes rugissants », entraîne une
modification importante du plancton au cours
de son voyage. Il affecte en effet le cycle de
l’azote et donc le métabolisme des commu-
nautés planctoniques. Durant la traversée de
l’Atlantique, celles-ci, relativement isolées,
vivent leur propre vie à l’intérieur du tourbil-
lon. La communauté présente dans le « vieil »
anneau diffère ainsi de celle du départ mais
n’a pas encore convergé avec celles qui l’en-
tourent. Les anneaux agissent donc comme
une sorte d’immense filtre à plancton entre
ces deux océans pourtant directement reliés.
«
Les communautés planctoniques transportées
par les anneaux évoluent en vase clos, et seuls
les microorganismes ayant survécu à tout ce
voyage peuvent passer dans l’Atlantique lorsque
le tourbillon se résorbe, vers l’Amérique latine
»
explique Éric Pelletier.
Ainsi, les populations planctoniques des
océans Atlantique et Indien sont génétique-
ment liées mais ne forment pas une commu-
nauté uniforme. Pour en savoir plus, les cher-
cheurs rêvent de suivre un même anneau de
sa naissance au sud de l’Afrique à sa disper-
sion vers les côtes du Brésil... Le courant des
Aiguilles est connu des océanologues pour
sa sensibilité au changement climatique. Une
meilleure compréhension des dynamiques
planctoniques dans les anneaux fournirait des
indices précieux sur la résistance globale de
l’écosystème.
L
10
GRAND ANGLE
1
Environmental characteristics of Agulhas
rings affect inter-ocean plankton transport;
Villar, Farrant, Follows et al. DOI: 10.1126/
science.1261447
2
Le courant des aiguilles a un débit équivalent à
près de 500 fois celui de l’Amazone.
3
Les tourbillons sont facilement repérables grâce
aux satellites car ils modifient le niveau de lamer.
4
Les quarantièmes rugissants.
n° 05 - juillet 2015 -
CEAbio
Au grè des courants
et des tourbillons
DYNAMIQUE DES POPULATIONS
Vue de satellite des masses de phytoplanctons.
Les tourbillons appelés « anneaux des aiguilles »
se forment à la pointe de l’Afrique du Sud et
remontent vers la côte est de l’Amérique du Sud.
© Jesse Allen/Earth Observatory/SeaWifs Project
0.01
20 10
1.0
0.1
Concentration en chlorophylle
(mg/m
3
)