Aléa et risque
L’analyse de l’aléa sismique permet de répondre à des demandes du type : Quelles seraient les accélérations du sol attendues à Lourdes dans le cas d’un séisme de magnitude 6 sur telle faille ? Ou : Quels sont les risques de dépasser une accélération donnée du sol à Nice dans les 50 prochaines années ? Elle se base sur les connaissances acquises grâce à la sismicité historique, l’occurrence des tremblements de terre et des mouvements forts du sol qui en découlent. Lorsque le scénario est inédit, la simulation numérique est utilisée. Cette analyse permet, par extension, de réaliser une carte de l’aléa sismique.
Il faut faire la distinction entre aléa et risque. Le risque sismique est l’impact de l’aléa sismique sur l’activité humaine en général. L’aléa sismique est élevé dans une région ayant une activité sismique importante. Mais à cet aléa élevé ne correspond pas forcément un risque élevé si la région est déserte ou ne comporte pas de constructions. En revanche,
même une zone ayant une sismicité modérée peut être considérée à haut risque du fait de la densité de population, de l’importance des constructions ou de la présence d’infrastructures sensibles (usines chimiques, centrales nucléaires, dépôts de carburant, etc.). Il existe un risque lorsque l’aléa menace des enjeux vulnérables (population, infrastructures).
Déterminer le risque sismique, c’est calculer la probabilité et le niveau des dommages au cours d’une période de référence et dans une région considérée.
Carte des aléas sismiques en France métropolitaine © CEA/Dase
Cas particulier à surveiller : les tsunamis
Un tsunami est une série de vagues provoquées à l’origine par un mouvement brusque du fond de l’océan, généralement suite à un séisme, une éruption volcanique ou un glissement de terrain sous-marin ou terrestre (comme, en 1958, le séisme de Lituya Bay en Alaska)
ou, beaucoup plus rarement, par des chutes d’astéroïde ou de comète.
Non, on ne peut pas prévoir un séisme
Depuis l’Antiquité, on a cherché à prédire les tremblements de terre… sans succès. Les sismologues tentent d’identifier des signes précurseurs, mais aucun ne semble avoir de valeur universelle. Les scientifiques ne peuvent pas indiquer la date, le lieu et la magnitude du prochain tremblement de terre. Ils ne peuvent qu’évaluer le risque sismique au voisinage des failles bien identifiées, en termes de probabilités et de mesures du degré de plausibilité, compte tenu des informations disponibles : activité sismique passée, intervalle de récurrence (intervalle de temps entre deux événements successifs au même endroit)…
Les tsunamis générés par des séismes sont imperceptibles au large : leur amplitude dépasse rarement 10 à 50 cm loin des côtes, et les vagues ne se succèdent que toutes les 20 à 40 minutes. Les tsunamis générés par des glissements de terrain peuvent être beaucoup plus dévastateurs mais leur impact reste très près de la source. Le tsunami n’a des effets que lorsque le train de vagues s’approche des côtes. En effet, lorsque l’épaisseur d’eau devient plus petite, la vitesse de propagation décroît et, par conservation de l’énergie, les vagues augmentent beaucoup en amplitude. Ainsi, les vagues de 10 à 50 cm au large peuvent monter jusqu’à des hauteurs de 3-5, voire 10 m. D’énormes dégâts peuvent alors se produire, notamment par les très forts courants engendrés lors du flux et du reflux et par leur capacité à happer les personnes au large. Les victimes peuvent recevoir divers objets charriés ou être projetées violemment.
De nombreuses vagues destructrices peuvent se succéder pendant plusieurs heures, les plus importantes n’étant pas forcément les premières.
Les dégâts matériels sont souvent considérables : habitations, infrastructures, faune et flore (écosystème) sont détruites. Il faut souligner que de nombreuses vagues destructrices peuvent se succéder pendant plusieurs heures, les plus importantes n’étant pas forcément les premières. Lors du grand tsunami du 26 décembre 2004 qui a eu lieu au large de l’île indonésienne de Sumatra, des vagues ont atteint 30 m à la côte et ont envahi les terres avec des hauteurs de 5 à 10m sur plusieurs kilomètres. Durant les derniers siècles, 75 % des tsunamis se sont produits dans l’océan Pacifique, notamment en raison de la très forte activité sismique autour de cet océan. Le tsunami de Sumatra rappelle que d’autres océans peuvent être touchés, bien que plus rarement. Ce séisme, d’une magnitude de 9,2, a provoqué un tsunami qui a touché l’Indonésie, le Sri Lanka, le sud de l’Inde et le sud de la Thaïlande. Il a été observé sur tout le pourtour de l’océan Indien, jusqu’aux côtes est-africaines de Somalie, à La Réunion et aux côtes nord-ouest de l’Australie. On a dénombré 280 000 disparus.
Le manque de données historiques ne permet pas toujours de connaître l’exposition potentielle de toutes les côtes. Un bon moyen d’améliorer la connaissance de l’aléa tsunami est d’utiliser la simulation numérique, qui permet de travailler sur des scénarios potentiels de séismes tsunamigéniques et d’étudier en détail les impacts à attendre. Ainsi, les travaux en cours sur le tsunami de 2004 montrent que, en connaissant bien la topographie locale et en utilisant une source décrivant ce séisme exceptionnel, on reproduit de manière satisfaisante le niveau des inondations observées.
L’enjeu de la prévention des tsunamis est de pouvoir mener ce type d’études sur tous les sites exposés, et ce avant que les grands séismes ne se produisent.
Voir aussi
Les règles parasismiques
La majorité des réglementations actuellement
en vigueur dans le monde, que ce soit pour
le risque « normal » ou les installations à
caractère industriel ou nucléaire, repose sur
une approche probabiliste dans l’évaluation
de l’aléa sismique. En France, le Dase travaille
depuis de nombreuses années sur cette
méthodologie et dispose aujourd’hui d’un outil
opérationnel pour évaluer l’aléa sismique sur
un site donné. Depuis les années 1950, il existe des normes françaises de résistance des bâtiments aux séismes. Elles sont progressivement remplacées par les normes européennes Eurocode 8, intégrant des règles d’applications propres à chaque pays. Ces normes prennent en compte l’expérience internationale, notamment celle des pays européens comme le Portugal, l’Italie ou la Grèce, soumis à une forte sismicité. Les essais sur les tables vibrantes du laboratoire Tamaris ont contribué à leur élaboration.
Gestion des risques : de multiples paramètres
La gestion des risques passe par la
prise en compte de très nombreux paramètres géologiques (sismicité, mouvements de terrain, phénomènes de retrait-gonflement des argiles sensibles à la sécheresse, effondrements liés aux carrières souterraines et aux mines abandonnées, activité volcanique),
climatiques, géographiques, démographiques et économiques. Elle porte sur la connaissance de chaque phénomène et sa modélisation, sur l’évaluation des dangers correspondants, par la surveillance, l’étude de la vulnérabilité des sites exposés et l’évaluation du risque.
Par exemple, le projet ISARD s’occupe de l’analyse sismique automatique régionale des dommages pour la prévention sismique dans l’est des Pyrénées. L’information géologique bénéficie des apports des programmes de recherche et développement sur la cartographie (campagnes aéromagnétiques et de spectrométrie, travaux de caractérisation physico-chimique). Les vues aériennes et satellitaires sont aussi analysées pour recenser les déformations des paysages telles que des terrains bombés, de brusques ruptures de couches rocheuses… Compte tenu de tous ces paramètres, il faut construire au bon endroit. Par exemple, lors d’un tremblement de terre, les sols sableux gorgés d’eau se désagrègent sous l’effet des vibrations. S’ils soutiennent des fondations, les constructions s’enfoncent dans ces « sables mouvants ». Mieux vaut donc éviter ces sols « liquéfiables » du bord de l’eau… et se méfier de tous les sols mous. Dans l’argile, les mouvements peuvent être jusqu’à dix fois plus forts que dans des roches rigides, couplant les effets de séisme lointain et les effets de site (ce fut le cas du séisme de Mexico en 1985, ville construite sur un lac asséché, ou de celui de la Marina de San Francisco édifiée sur des sédiments du bord de la baie).
Dans ce domaine, l’abondance de données numériques et de modèles sophistiqués est de première importance. Ils permettent la réalisation de
cartes très fines des aléas et risques sismiques, des mouvements de terrain, des cavités souterraines, et la constitution de banques de données (comme SisFrance pour les séismes). Cette cartographie est utilisée dans la gestion des ressources naturelles, l’environnement et l’aménagement du territoire (de la mise en place de mesures pour la prévention à la restriction des droits d’usage de terrains selon le Plan de prévention des risques). Les cartes des dommages se calquent souvent sur les cartes des sols.
La prévention des risques, qu’ils soient naturels, amplifiés, voire créés par une industrialisation et une urbanisation croissantes, est une composante majeure des décisions d’aménagement du territoire.
La table vibrante Azalée a permis de tester cette maquette de génie civil, à échelle 1/3 et d’une masse de 35 tonnes. © S.Poupin/CEA
Ces chercheurs vérifient l’état d’une structure d’environ 20 tonnes après les tests. © S.Poupin/CEA
Les constructions, en particulier les bâtiments publics et les installations à risque, sont soumises à une réglementation stricte dans les zones sismiques.
Le laboratoire Tamaris
Les zones sismiques en France sont soumises à des lois réglementant les constructions, en particulier les bâtiments publics et les installations à risque comme les centrales nucléaires (loi particulière du 22 juillet 1987 et décret du 14 mai 1991). Les études confiées au laboratoire Tamaris du CEA permettent de mieux comprendre et de prédire le comportement sismique des structures. L’objectif est de vérifier la conformité d’installations vis-à-vis de ces règles, et donc de réduire les conséquences des séismes pour la population.
Pour cela, le laboratoire dispose d’importants moyens expérimentaux et de simulation numérique. La plateforme expérimentale regroupe quatre tables vibrantes, une fosse et un mur de
réaction. Azalée est la plus grande des tables vibrantes : 6 mètres de long et de large, 2 mètres d’épaisseur. Elle peut simuler des séismes de très forte puissance et embarquer des structures allant jusqu’à 100 tonnes (ce qui permet à nombre d’industriels de juger de la résistance de leurs bâtiments et structures). La fosse permet, elle, de tester des structures de grande hauteur, comme des barres de contrôle d’un réacteur nucléaire. Mais avant de commencer les essais, place à la simulation. Le
code CAST3M permet d’effectuer des calculs de prédimensionnement, d’interprétation des essais et des simulations numériques. Il établit ainsi des modèles numériques qui définissent la forme du bâtiment, ses dimensions, sa structure… Suivant ce modèle optimisé, une maquette est réalisée et dotée de capteurs. Puis les chercheurs ajustent les niveaux croissants des séismes à appliquer.
Entre chaque essai, les mesures expérimentales sont comparées aux prédictions des modèles numériques. Cette démarche permet de comprendre le comportement de la structure, ses dégradations locales et, pour les derniers essais à forts niveaux, la ruine du bâtiment. Ces études répondent ainsi aux questions: À partir de quelle sollicitation la structure présente-t-elle des dommages ? Jusqu’à quelle sollicitation résiste-t-elle ? Où et comment s’endommage-t-elle ? Les spécialistes du domaine parasismique prennent en compte l’ensemble des connaissances acquises sur les séismes passés. Ils développent des méthodes de calcul en s’appuyant sur les observations, les retours d’expériences et les conséquences réelles de séismes. Les essais et les calculs effectués permettent de renforcer les installations existantes et d’améliorer, en collaboration avec d’autres organismes, au CEA ou par exemple au
BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières), les normes sismiques européennes pour les constructions futures.
Essais sismiques sur une maquette échelle 1/4 d'un bâtiment type nucléaire, grâce à la table vibrante Azalée de la plate-forme expérimentale Tamaris. © P.Stroppa/CEA