L’extraction liquide-liquide est l’opération de base de l’hydrométallurgie
2, essentielle pour le recyclage de métaux ou la décontamination de solvants (récupération de molécules à valoriser ou à dépolluer). Jusqu’à maintenant les « recettes » des procédés chimiques sont élaborées sur la base de retours d’expérience et théories partiellement comprises, sans qu’un modèle prédictif physico-chimique puisse optimiser les plans d’expérience, particulièrement dans le cas d’association de plusieurs extractants.
Vue à l’échelle du nanomètre de l’interface entre deux liquides (gris et bleu). L’équipe de recherche a théorisé et démontré le comportement et la synergie des molécules extractantes employées pour récupérer des métaux dans une solution : en utilisant différentes molécules, celles-ci peuvent s’associer en une multitude d’agrégats dynamiques, capables d’extraire plus efficacement un plus grand nombre de sels métalliques d’intérêt. Si un seul type d’extractant est employé, la capacité de formation d’agrégats est plus restreinte, et l’extraction est moins efficace. Ce dispositif unique au monde est actuellement opérationnel au laboratoire commun SCARCE (CEA/NTU à Singapour).
Il s'agit d'une adaptation non officielle d'un article paru dans une publication ACS. La revue ACS n'a pas approuvé le contenu de cette adaptation ni le contexte de son utilisation.
Les équipes de l’Institut de chimie séparative de Marcoule (CEA/CNRS/ENSCM/Université de Montpellier) et leurs collaborateurs étrangers ont réussi à déterminer et à expliquer la mystérieuse « synergie » entre extractants, phénomène connu depuis les années 1960 mais jusqu’à présent inexpliqué
3. Cette nouvelle approche, que les chercheurs ont baptisée la « ienaïque »
4, ouvre un œil nouveau sur les interactions physico-chimiques au-delà du premier voisin en solution. Pour cela, des expériences et mesures dix fois plus précises que toutes celles publiées jusqu’ici ont été réalisées
5 avec le banc instrumenté monté au CEA et déployé dans le laboratoire SCARCE à Singapour, quantifiant rigoureusement, pour la première fois, l’efficacité des molécules extractantes et de leur synergie.
Parallèlement, le CEA, en partenariat avec le CNRS et les Universités de Ratisbonne et de Montpellier, a breveté cette nouvelle méthodologie, couvrant l’association d’extractants classiques mélangés à des molécules non extractantes de la classe des hydrotropes, famille chimique jusque-là non utilisée pour le recyclage, mais qui présente un phénomène de synergie inconnu jusqu’à présent.
Enfin, une autre publication
6 vient confirmer l’intérêt industriel de l’approche ienaïque, en l’appliquant comme modèle prédictif de la viscosité des fluides utilisés en hydrométallurgie nucléaire, qui était un verrou important limitant l’intensification des procédés, mais aussi de la turbidité des dégraissants détergents.
Ces premiers pas de la ienaïque ont été consacrés à l’amélioration du traitement des métaux lourds et stratégiques par extraction. Son application a notamment permis de réduire les quantités de fluides utilisés et donc des effluents. Tout ceci permet d’espérer une relance de l’hydrométallurgie, par exemple pour le recyclage des aimants d’éoliennes en France ou dans des pays de l’Union européenne. À l’échelle d’une dizaine d’années, des sauts technologiques d’extractions plus efficaces et écologiquement acceptables sont également attendus dans les bioraffineries et la purification moins coûteuse de molécules d’intérêt pharmaceutique.
À propos du projet REE-CYCLE : Le projet REE-CYCLE (Rare Earth Element reCYCling with Low Harmful Emissions) a été financé par le Conseil européen de la recherche (ERC) et collabore avec plusieurs équipes de la recherche fondamentale et de la R&D du CEA depuis 2013. En
parallèle, le Laboratoire international associé « RECYCLING », soutenu par le CNRS, associe l’ICSM au Max Planck Institute of Colloids and Interfaces (Potsdam) et l’Université de Ratisbonne. Ce réseau bilatéral franco-allemand CNRS/DFG travaille depuis 1998 avec des chercheurs allemands et français publiant ensemble dans le domaine de la formulation chimique utilisant des films minces de fluides complexes, des solvants non conventionnels hydrotropes et des effets spécifiques non électriques d’ions complexes.
1Brevet n°EP20305039, déposé le 17/01/2020 par le CEA, CNRS et Universität Regensburg
2Technique d’extraction des métaux qui comporte une étape où le métal est mis en solution pour permettre sa purification.
3La sélectivité exacerbée en cas d’association de deux extractants dans certains solvants et pas dans d’autres est une des questions ayant amené à la création de l’Institut de chimie séparative de Marcoule (ICSM) par les tutelles associées (CEA/CNRS/École Nationale supérieure de chimie de Montpellier/Université de Montpellier). Première publication présentant une théorie complète est parue comme high-light de ACS Nano 2019, 13, 13745−13758 « Synergistic Solvent extraction is driven by entropy » du 24 décembre 2019
4La ienaïque, venant du verbe grec « ienai » qui signifie « aller, qui se déplace » et qui a donné le mot « ion », est la sous-discipline des nanosciences qui traite de l’échange d’espèces entre fluides sous l’influence des forces colloïdales et sans champ extérieur.
5Publication Phys. Chem. Chem. Phys., https://doi.org/10.1039/C9CP06569E
6Dans EPJ Nuclear Sci. Technol. 6, 3 (2020), DOI: 10.1051/epjn/2019055, la revue y a consacré un « high-light » au vue de l’intérêt des travaux menés et de leurs applications prévisibles.