Les bêta thalassémies et la drépanocytose
font partie des troubles héréditaires les plus fréquents touchant les
globules rouges. La drépanocytose, qui affecte 300 000 nouveau-nés
chaque année, est sur le point de devenir la maladie génétique la plus
fréquente en Europe. Leurs troubles sont causés par des mutations du
gène de la β globine, conduisant à des altérations de l’hémoglobine
adulte, responsable du transport d’oxygène dans le sang. Malgré
l’implication d’un gène unique, ces deux maladies peuvent être plus ou
moins sévères. De nombreux facteurs peuvent en modifier la gravité, en
particulier la capacité de certains patients à produire de l’hémoglobine
fœtale normalement maintenue ‘silencieuse’ chez
l’adulte. Chez certains individus elle ‘échappe’ à cette répression
naturelle sans aucune conséquence sur leur santé. Mais, spécifiquement
chez les patients thalassémiques et drépanocytaire elle produit un effet
bénéfique en compensant les défauts d’hémoglobine adulte.
Les régions non codantes
du génome, autrefois appelées "ADN poubelle", ont un rôle aujourd'hui
reconnu dans la régulation des gènes. Leurs mutations ou variations
peuvent ainsi être impliquées dans la survenue ou la sévérité de
nombreuses pathologies (diabètes, maladies cardiovasculaires, cancers).
Etonnamment, ces variants génétiques présents en grand
nombre dans les régions non codantes du génome sont fréquemment
localisés à des distances considérables des gènes.
Une équipe de
chercheurs dirigée par Swee Lay Thein avait identifié il y a plus de 10
ans, des variants génétiques liés à la production d’hémoglobine fœtale
chez l’adulte. Leurs mécanismes d’action étaient restés néanmoins
inexpliqués jusqu’à aujourd’hui. En effet, ces variants ne sont pas
localisés sur les chromosomes qui contiennent les gènes produisant
l’hémoglobine, mais se trouvent dans un ‘désert génétique’ non codant du
chromosome 6q23, à des dizaines de milliers de paires de bases des gènes les plus proches.
A
partir de prélèvements effectués chez des patients thalassémiques, les
chercheurs ont combiné l’utilisation de techniques d’analyse de
repliement des chromosomes, à des analyses d’ADN à haut débit pour
élucider les mécanismes moléculaires expliquant comment les variants
non codants exercent leur action et améliorent les symptômes des
thalassémies et drépanocytoses.
Eric Soler est lauréat du programme ATIP-Avenir qui permet à de jeunes chercheurs de mettre en place et d’animer une équipe, de promouvoir la mobilité et d'attirer dans les laboratoires de jeunes chefs d’équipes de haut niveau.
Depuis leurs créations, ces deux programmes (Atip au CNRS et Avenir à l’Inserm) ont permis à plus de 406 chercheurs de constituer leur propre équipe de recherche dans les domaines des sciences de la vie et de la santé. En 2009, dans le cadre d’un partenariat, l’Inserm et le CNRS ont réuni leurs 2 programmes en un seul : Atip-Avenir.
Les chercheurs ont montré
que ces variants, dans un contexte normal, interagissent physiquement
avec le gène MYB, distant de plus de 80 000 paires de bases, grâce au
repliement des chromosomes. " Il faut imaginer notre ADN comme une
pelote de laine. Si on déroule cette pelote ces deux régions sont très
éloignées l'une de l'autre, mais au sein de la pelote, elles peuvent
être très proches." explique Eric Soler.
Or, chez les patients
atteints de bêta-thalassémie ou de drépanocytoses et porteurs de ces
variants, on constate une diminution des repliements des chromosomes.
Les variants accèdent plus difficilement au gène MYB et l'activent moins
efficacement. Cette baisse d’expression du gène MYB chez les patients
thalassémiques et porteurs de ces variants, conduit à une réactivation
des globines fœtales saines (normalement silencieuses chez l’adulte)
permettant de reconstituer une hémoglobine fonctionnelle. « La
diminution de l’expression du gène MYB permet ainsi de compenser le
défaut de globines adultes et d’améliorer significativement les
symptômes des bêta thalassémies et de la drépanocytose », expliquent les
auteurs.
Ainsi, « le gène MYB représente une nouvelle cible
thérapeutique majeure pour le traitement des bêta thalassémies et de la
drépanocytose, pour lesquelles une réactivation de l’hémoglobine fœtale
constitue une stratégie thérapeutique de choix », suggèrent Eric Soler
et Swee Lay Thein.