Nos pensées sont ancrées dans l'espace et dans le temps. De récentes découvertes sur la manière dont le cerveau construit notre perception de l'espace ont débouché sur une science fondamentalement nouvelle, dotée de méthodes et d'un cadre de travail innovant avec des retombées sociétales significatives. Cependant, nous savons très peu de choses sur la manière dont notre expérience est organisée le long d'un axe temporel, c'est-à-dire comment notre cerveau génère notre sens du temps.»
Voici comment Virginie van Wassenhove (CEA-Joliot), spécialiste de la cognition temporelle, présente les enjeux du projet Chronology qui vient de recevoir un ERC Synergy, porté avec Brice Bathellier (CNRS), Srdjan Ostojic (ENS) et Mehrdad Jazayeri (MIT).
S'appuyant sur l'observation que l'évaluation mentale du temps implique une activité neurale multi-échelle, ce projet vise à tester l'hypothèse parcimonieuse d'une carte cognitive temporelle généralisable à diverses échelles cérébrales et espèces animales.
Pour ce faire, les quatre chercheurs enregistreront l'activité neuronale et cérébrale à différentes échelles neuro-anatomiques (de la cellule unique au cerveau entier) chez trois espèces (rongeurs, primates non humains et humains) pendant qu'elles effectuent des tâches d'estimation ou de navigation temporelle de complexité cognitive variable. Une analyse géométrique de l'activité enregistrée caractérisera les cartes cognitives temporelles qui fournissent aux individus une chronologie mentale des événements. Ces données seront modélisées par le biais de réseaux de neurones qui pourront prédire les changements d'activité cérébrale attendue selon les paramétrages expérimentaux.
Intelligence artificielle, protocoles cognitifs et stimulation optogénétique
Le cadre de travail de Chronology est innovant et se base sur des principes neurobiologiques pour identifier des processus généraux qui sous-tendent l'émergence des représentations temporelles, en comparant les signatures des mécanismes théoriques avec l'activité cérébrale observée. Il compte trois séquences :
- Evaluation des processus chez trois espèces animales en suivant les indications de modèles d'intelligence artificielle de résolution de tâches temporelles ; modèles qui feront intervenir des réseaux de neurones récurrents (RNN), dont les chercheurs Mehrdad Jazayeri et Srdjan Ostojic ont une grande expertise :
- Validation des prédictions des modèles au regard des manipulations mentales flexibles du temps dans des protocoles définis par Virginie van Wassenhove pour les humains, Mehrdad Jazayeri pour les primates non humains et Brice Bathellier pour les rongeurs ;
- Manipulation directe du type de représentations neuronales grâce à un nouvel outil de stimulation optogénétique développé par Brice Bathellier pour aborder la population neuronale à l'échelle de la cellule unique.