En comparaison, le carbone stocké par les forêts française est estimé à 2,4 milliards de tonnes. Les chercheurs montrent également que cette valeur ainsi que la densité des arbres dispersés sont sous-estimés dans la plupart des modèles de végétation utilisés dans les simulations du climat.
Publiée dans Nature au moment du One Forest Summit au Gabon, cette étude met à disposition une base de donnée sur ces arbres contenant des informations essentielles pour les acteurs travaillant à la restauration des forêts, ainsi que pour les agriculteurs qui peuvent estimer les stocks de carbone de leurs terres.
Les arbres situés en zones sèches stockent du carbone, fournissent des services écosystémiques précieux et soutiennent les moyens de subsistance des populations locales en fournissant du bois, une protection contre l’érosion et la dégradation du sol, de l’ombre, contribuent à la biodiversité… Connaître leur distribution, leurs stocks de carbone, leur densité est de plus essentiel pour la protection écologique, l’atténuation du changement climatique et la restauration des écosystèmes des zones sèches. Mais ces informations sont mal connues car ces arbres poussent de manière isolée et ont une densité et une taille très variable et les techniques de surveillance des écosystèmes forestiers à l’échelle globale actuellement utilisées ne disposent pas d’une résolution suffisante pour reconnaître directement ces arbres sur les images. Par conséquence, s’il existe des études à un niveau très local pour les zones arides, à plus grande échelle les informations sont dérivées de cartes mondiales, qui n’ont pas été bien validées pour ces zones.
Une méthodologie innovante combinant imagerie à haute résolution spatiale et intelligence artificielle
Afin de pouvoir analyser chaque arbre individuellement, les scientifiques ont donc dû développer une méthode combinant intelligence artificielle (IA) associée au calcul haute performance, imagerie à haute résolution spatiale (50 cm) et données de terrain. Ces données de terrain ont permis de calibrer les paramètres de structure des arbres (hauteur, surface de la couronne, biomasse, etc.). Les chercheurs ont ainsi analysé plus de 300 000 images satellites d’Afrique sub-saharienne (région semi-aride au nord de l'équateur) et identifié plus de 9,9 milliards d’arbres. Ils ont alors attribué, pour chaque arbre, le stock de carbone associé à chacune de ses composantes (bois, feuilles, racines), ainsi que sa densité, sa couverture, sa taille et sa masse.
Selon Pierre Hiernaux, chercheur français travaillant pour la NASA et consultant pour Pastorialisme Conseil, qui a apporté les données sur les arbres nécessaires à l’étude, « la haute résolution spatiale (50 cm) combinée à l’IA et aux mesures sur le terrain, utilisée dans cette étude, est la clé de l'amélioration des inventaires d'arbres dans les zones sèches. La disponibilité sans cesse croissante d'images satellitaires à très haute résolution rendra possible l’évaluation des réservoirs de carbone et de leur dynamique au niveau de chaque arbre à une échelle globale. »
La densité et les stocks de carbone des arbres en zone-aride est sous-estimée
Les stocks de carbone des arbres individuels varient entre 63 kg en moyenne par arbre dans la zone aride à 98 kg dans la zone subhumide (zone dotée d’un climat intermédiaire entre semi-aride et humide). Le carbone total de la totalité des arbres identifiés dans ces zones d’Afrique sub-saharienne est donc de 0,84 milliard de tonnes de carbone. Pour comparaison, les stocks de la forêt en France métropolitaine représentent 2,4 milliards de tonnes. Si ce chiffre peut paraître faible, les comparaisons avec des simulations numériques de modèles de végétation ont révélé que la densité et les stocks de carbone des arbres isolés en zone aride sont sous-estimés par la plupart des modèles utilisés dans les simulations du climat.
Pour Jean-Pierre Wigneron, chercheur INRAE de l’unité Interactions sol-plantes-atmosphère et co-auteur de l’étude, « cette étude est exceptionnelle car elle est pionnière dans un type d’approche qui va révolutionner le suivi des arbres et des forêts à l’échelle de notre planète : à court terme il va devenir possible de cartographier les arbres de la planète depuis le centre de l’Amazonie jusqu’à nos cours d’école. Beaucoup de champs d’applications vont devenir beaucoup plus efficaces et précis : suivi des stocks de carbone, biodiversité, monitoring des coupes, protection vis-à-vis des dégradations forestières illégales, etc., en quasi temps réel. »
La base de données de ces près de 10 milliards d'arbres est désormais mise à disposition publiquement. Elle comprend pour chaque arbre la masse de bois, la masse de feuillage, la masse de racines et le stock de carbone. Ces informations sont essentielles pour les scientifiques, les décideurs, les agronomes et forestiers travaillant à la restauration des terres arides, mais aussi pour les agriculteurs, qui peuvent utiliser ces données pour estimer et valoriser les stocks de carbone des arbres des terres qu’ils exploitent.
En particulier, l'inclusion de ces données dans les modèles dynamiques de végétation pourrait améliorer les résultats des modélisations futures, conduisant à des prévisions plus réalistes de l'impact du changement climatique sur les zones sèches. L'étape suivante consistera à ajouter une dimension temporelle à la cartographie, qui pourrait être possible au moins à un pas de temps décennal à l’échelle de l’arbre. Cela facilitera la prise en compte de l'impact des sécheresses, de la restauration et des politiques à différentes échelles, jusqu'au niveau des arbres individuels.
Cette étude ouvre une nouvelle dimension dans le suivi des forêts… et de nombreuses autres vont suivre. C’est réellement unique dans le domaine de la télédétection ! Dans ces études à venir, la combinaison de la télédétection à très haute résolution et de l’IA assure la cartographie des forêts dans de nombreuses régions du monde (Europe, Afrique, etc.), avec une précision inégalée et une résolution de 1 à 10 mètres », affirme Philippe Ciais, chercheur CEA au laboratoire des Sciences du
climat et de l’environnement qui a participé à cette étude qui fait
notamment l’objet d’un atelier sur l’usage de la télédétection pour
mieux connaître et protéger les forêts au One Forest Summit..