Pouvez-vous nous rappeler tout d’abord ce qu’est la fusion nucléaire ?
Il existe deux façons de produire de l’énergie à partir de réactions nucléaires.
Il y a tout d’abord
la fission, qui consiste à casser des noyaux atomiques lourds. Ce mécanisme est mis à contribution dans les centrales nucléaires.
Il y aussi
la fusion, réaction inverse au stade expérimental, où l’on rapproche à très courte distance des noyaux légers, en particulier des isotopes de l’hydrogène (le deutérium et le tritium), dans le but de générer de l’énergie thermonucléaire. On reproduit ainsi la réaction physique qui se passe au cœur des étoiles. Pour les approcher suffisamment et vaincre la répulsion électrostatique naturelle entre ces noyaux, il faut chauffer la matière à plusieurs millions de degrés Celsius, à très haute pression. La matière est alors ionisée et forme un plasma.
Quels sont les bénéfices de la fusion pour la production d’énergie ?
Ces réactions de fusion peuvent produire à terme de l’énergie propre en grande quantité,
sans générer de déchets radioactifs et de rejets de gaz à effet de serre. De plus, les isotopes d’hydrogène utilisés pour la fusion se trouvent en quantité importante sur terre et de façon pérenne.
On parle ici de fusion inertielle. De quoi s’agit-il ?
Pour maintenir les conditions nécessaires à l’obtention d’un plasma, il faut confiner la matière,
soit par un champ magnétique à des densités assez raisonnables pendant un temps suffisamment long, soit par
confinement inertiel par laser à des densités plus élevées, et dans un temps beaucoup plus court. La fusion par confinement magnétique est expérimentée dans le cadre du
projet ITER. La fusion inertielle est à l’étude au National Ignition Facility (NIF) et, en France, au
Laser MégaJoule (LMJ), conçu et réalisé par la Direction des Applications Militaires (DAM) du CEA, au CEA-CESTA à proximité de Bordeaux.
La fusion inertielle consiste à
apporter, via des faisceaux laser, une quantité suffisante d’énergie à une très petite quantité de deutérium et de tritium contenue dans une capsule de quelques millimètres de diamètre. Cette capsule, ou cible, va être très fortement comprimée pour à la fois la chauffer et l’amener à une densité très élevée.
Il y a deux schémas pour la fusion inertielle. Le schéma dit en attaque directe, consiste à impacter directement avec les faisceaux laser cette capsule composée d’isotopes d’hydrogène. L’autre schéma consiste à mettre la capsule dans un cylindre métallique, de longueur centimétrique. Ce cylindre comporte deux trous d’entrée pour les faisceaux laser. Ces derniers impactent les surfaces internes du cylindre, chauffent le métal qui émet des rayons X. Ces rayons X vont comprimer la capsule, produisant une réaction de fusion. C’est ce schéma de fusion inertielle qui est en œuvre à la fois au NIF et au LMJ. Nous avons, au LMJ, des projets très semblables à ceux du NIF. Nous échangeons dans ce domaine sur les dispositifs de mesure (diagnostics), les cibles et les différents résultats obtenus.
Vues extérieures de la cible de fusion. Sur le cliché de droite, on voit la bille de polymère, remplie de deutérium, placée au centre de la cavité de conversion. © CEA/DAM
En quoi l’expérience de fusion nucléaire qui a eu lieu le 8 août dernier au NIF constitue-t-elle une avancée majeure ?
Cette expérience réalisée au NIF constitue une avancée considérable, parce que les chercheurs américains, qui ont démarré les expériences laser depuis plus de 10 ans, se sont rapprochés du seuil d’ignition,
soit le moment où l’on récupère autant d’énergie thermonucléaire que ce que l’énergie laser a fourni. Les 192 lasers du NIF ont produit 1,9 Mégajoules et les Américains ont récupéré 1,3 Mégajoules d’énergie thermonucléaire. Le rendement est de 0,7, très proche du gain de 1, le seuil d’ignition, résultat jamais obtenu auparavant. Les Américains ont ainsi obtenu une preuve de concept de la capacité à atteindre l’ignition.
Schéma 3D du LMJ. © MS-BEVIEW / CEA
Pour produire de l’énergie de manière économique et rentable, il faudrait réaliser cette même expérience avec un gain non pas de 1 mais
plutôt de 10, de façon répétitive et robuste, avec par exemple 10 expériences similaires par seconde, 24h/24. Mais cela demande beaucoup de préparation : on peut actuellement imaginer en faire une ou deux par semaine au NIF, pas plus.
C’est un défi très ambitieux. C’est pourquoi la voie prioritaire pour produire de l’énergie reste la fusion par confinement magnétique au travers le projet ITER.
Pourquoi ne peut-on pas effectuer cette expérience de façon plus répétée à ce jour ?
Cette expérience est d’une
grande complexité à mettre en œuvre. Il y a une quantité énorme de faisceaux laser, 192 faisceaux pour le NIF, qu’il faut conduire avec de fortes contraintes de focalisation sur la cible. Ce sont à chaque fois des centaines de composants optiques à régler. Les durées d’impulsion laser sont de l’ordre de quelques nanosecondes, soit quelques milliardièmes de seconde. Les cibles de deutérium et de tritium doivent être très refroidies, à des températures proches du zéro absolu, avant d’atteindre jusqu’à 100 millions de degrés Celsius lors de la fusion. Toutes ces expériences sont simulées en amont avec des calculs extrêmement complexes qui tournent sur les supercalculateurs du CEA/DAM à Bruyères-le-Châtel.
Quelles sont les projections pour le futur de la production d’énergie grâce la fusion inertielle ?
Nous sommes actuellement au niveau de la preuve de concept et je ne pense pas qu’il soit possible d’arriver à quelque chose d’économiquement viable avant quelques décennies. Cela supposera certainement d’augmenter encore le nombre de faisceaux et de nous appuyer sur une autre technologie laser, de façon à pouvoir produire les énergies nécessaires.
Un hall laser du LMJ. © MS-BEVIEW / CEA
La fusion inertielle a-t-elle d’autres applications au NIF et au LMJ que la production d’énergie ?
Un des principaux objectifs de telles expériences de fusion inertielle, partagé par le NIF et le LMJ, est de contribuer à
la garantie de la fiabilité des têtes nucléaires de la dissuasion que ce soit aux Etats-Unis ou en France. La fusion inertielle permet de restituer des niveaux de température et de pression proches de ceux rencontrés lors des essais nucléaires, définitivement arrêtés en 1996 pour la France. Le Programme Simulation que je supervise s’appuie ainsi à la fois sur les supercalculateurs et sur des moyens expérimentaux, comme le LMJ ou
l’installation radiographique Epure, à Valduc. C’est à cette fin que le Ministère de la Défense a financé cette installation exceptionnelle qu’est le LMJ.
Dès le lancement du programme LMJ,
le ministère de la Défense a décidé de consacrer entre 20 et 25 % du temps d’expérience sur le LMJ à la communauté académique internationale. Ces expériences de recherche fondamentale permettent d’étudier des phénomènes astrophysiques, par exemple le comportement du cœur des planètes géantes ou encore les opacités du soleil. Il existe le même programme d’ouverture au NIF.
A propos du Laser Mégajoule (LMJ)
Le LMJ est une installation expérimentale hors du commun, construite sur le centre du CEA-CESTA (à proximité de Bordeaux). Dans la configuration finale du LMJ, 176 faisceaux délivrant une énergie de 1,3 Mégajoules seront focalisés sur la cible placée au centre de la chambre d’expériences. Depuis sa mise en service en 2014, la montée en puissance progressive du LMJ se poursuit, de manière cohérente, entre l’énergie laser (mise en service des faisceaux laser) et le système expérimental (une quarantaine de systèmes de mesure ou diagnostics seront installés à terme), ainsi qu’avec les besoins du Programme Simulation. Fin 2019, pour les premières expériences françaises de fusion nucléaire par confinement inertiel, 48 faisceaux délivraient une énergie de 160 kilojoules.
En savoir plus :
http://www-lmj.cea.fr