Le cerveau est un organe difficile à atteindre car il est isolé par une barrière qui le protège des agressions issues du système sanguin : barrière hémato-encéphalique ou BHE). Corolaire de cette protection renforcée : les pharmacologues buttent sur cette BHE pour faire entrer dans le cerveau les médicaments qu’ils développent pour traiter les pathologies cérébrales. La BHE est un système très complexe de par sa composition, son organisation et son fonctionnement : elle n’a pas la même « perméabilité » pour toutes les molécules. Et celle-ci peut être modifiée dans certaines pathologies. L’important enjeu pharmacologique que représente le franchissement de la BHE a conduit au développement de nombreux modèles expérimentaux précliniques ayant pour objectif d’étudier et de prédire les paramètres cinétiques de passage de candidats médicaments destinés au système nerveux central. Les modèles précliniques actuels ne font qu’imiter plus ou moins parfaitement la véritable complexité de la BHE humaine. Ils doivent être améliorés. De même, leur pertinence physiologique doit être mieux contrôlée et validée.
L’équipe Pharmacologie Neurovasculaire (Service de Phamarcologie et Immunoanalyse, Institut Joliot du CEA) travaille depuis plusieurs années à reconstituer expérimentalement la BHE avec l’objectif d’avoir un modèle robuste et efficace qui aurait exactement les mêmes caractéristiques que la BHE humaine. Leur modèle associe des cellules endothéliales cérébrales (cellules de la paroi des vaisseaux sanguins), cultivées sur une membrane semi-perméable, et des cellules gliales (cellules qui environnent les neurones). Mais ces cellules cérébrales humaines sont difficiles à obtenir du fait de la qualité des pièces opératoires (issues de la neurochirurgie) et la difficulté de les maintenir en culture.
Lors d’une étude récente, les chercheurs, en collaboration avec le laboratoire partenarial SEPIA/Sup’Biotech (Institut Jacob du CEA), sont parvenus à reconstituer in vitro une BHE grâce à la reprogrammation de cellules somatiques (des cellules humaines de peau) en cellules souches pluripotentes induites (iPSCs) et à la mise en place d’un protocole unique de différenciation en cellules endothéliales cérébrales humaines. Ce protocole de reprogrammation permet de disposer d’une quantité potentiellement illimitée de cellules cérébrales humaines pour la reconstitution expérimentale du modèle de BHE.
Les chercheurs ont ensuite caractérisé ces modèles de barrières, leurs propriétés physiologiques et notamment leur capacité à être effectivement des barrières physiques sélectives. Ils ont ainsi mesuré la capacité de passage de plusieurs molécules et médicaments au travers de la BHE. En collaborant avec une équipe du SHFJ, les chercheurs ont pu comparer directement ces paramètres pharmacocinétiques de transport obtenus in vitro à ceux obtenus chez l’Homme, par imagerie TEP, pour les mêmes molécules radiomarquées. Cette étude comparative montre une bonne corrélation entre les données obtenues in vitro et celles obtenues in vivo. La double approche utilisée par les chercheurs de l’équipe Pharmacologie Neurovasculaire devrait permettre à terme la reconstitution et l’étude des signatures moléculaires de barrière hémato-encéphalique dans le contexte de pathologies cérébrales afin de prédire le passage de candidats médicaments mais aussi la découverte des stratégies de leur délivrance dans le cerveau.
Contact : Aloïse Mabondzo