100millions de protistes et 100000métazoaires.
Fixés chimiquement ou préservés dans de
l’azote liquide, les filtres chargés de plancton
sont expédiés, à chaque escale du bateau, vers
les laboratoires d’analyse, dont le Genoscope.
Un autre laboratoire à bord héberge une batterie
de cytomètres, microscopes et caméras à haut
débit pour l’observation du plancton «frais» et
la capture des images
5
.
Le programme scientifique Oceanomics,
lancé en 2013 pour exploiter toutes ces données,
durera jusqu’en 2020 (voir encadré). Il sera
toutefois loin d’avoir épuisé le sujet, les scien-
tifiques s’attendant à plus d’une décennie de
Importance par leur sujet, tout d’abord. Le
plancton
4
regroupe tous les organismes vivant
dans l’eau mais incapables de nager, donc se
déplaçant au gré des courants : bactéries et
archéobactéries,
protistes
*
(dont les microal-
gues), et
métazoaires
*
(larves de poisson,
méduses...), sans oublier les virus affectant
tout ce petit monde. Base de la chaîne alimen-
taire dans les océans, le plancton constitue
le plus vaste écosystème de la planète. Il pro-
duit par photosynthèse la moitié de l’oxygène
atmosphérique (le reste étant dû aux plantes
terrestres) et assume une part essentielle du
cycle du carbone en séquestrant le dioxyde de
carbone dans l’océan. Malgré cette importance
cruciale pour l’équilibre planétaire, le planc-
ton restait très mal connu, ne serait-ce qu’à
cause de l’immensité du «terrain de chasse»
et de l’impossibilité de cultiver la plupart des
espèces qui le composent.
Importance de la moisson de données
et des moyens d’analyse, ensuite. Au total,
l’expédition Tara Océans a collecté plus de
35000 échantillons. À chacune des «stations»,
dont la position a été elle-même déterminée
par des données océanographiques, plusieurs
populations planctoniques (selon la taille des
organismes) étaient prélevées à différentes
profondeurs. Chaque prélèvement donnait lieu
à l’enregistrement simultané des paramètres
physiques (température, lumière, profondeur),
chimiques (salinité, pH, nutriments, carbone et
oxygène dissouts, etc.) et géographiques (lon-
gitude et latitude, masse d’eau, courants, etc.).
Tous les résultats sont mis à la disposition des
scientifiques du monde entier dans des bases
de données publiques.
Piège à carbone,
source d’oxygène
Concrètement, à chaque point de prélève-
ment, les chercheurs commencent par immer-
ger la « rosette », un ensemble de bouteilles
de prélèvement bardé de capteurs. Il s’agit
de recueillir des échantillons d’eau pour des
analyses physico-chimiques ultérieures mais
aussi de repérer immédiatement à quelle pro-
fondeur se trouvait le «DCM», ou maximum de
concentration en chlorophylle. Puis, grâce à
une pompe et un tuyau, le plancton lui-même
est prélevé près de la surface, au DCM et, sou-
vent, à une profondeur plus importante mais
toujours dans la zone éclairée de l’océan,
jusqu’où pénètre la lumière du soleil. Des filets
spéciaux sont également déployés pour capter
le «gros» plancton. Les échantillons remontés
sont immédiatement filtrés dans un laboratoire
installé sur le pont, de manière à séparer les
populations par fraction de taille (voir infogra-
phie page 6-7). En jouant sur la porosité des
filtres, les scientifiques peuvent séparer des
fractions enrichies en virus, en bactéries, en
protistes ou enmétazoaires. À titre indicatif, un
seul litre d’eau de mer peut contenir plusieurs
dizaines de milliards de virus, plusieurs mil-
liards de bactéries et archéobactéries, jusqu’à
04
GRAND ANGLE
n° 05 - juillet 2015 -
CEAbio
4
Du grec planktos: dérivant, errant
5
L’observation au microscope électronique
se fait dans des laboratoires terrestres.
Protistes
Organismes unicellulaires et eucaryotes (leur
ADN est regroupé dans un noyau). Les bactéries
sont unicellulaires et procaryotes : elles n’ont pas
de noyau, et leur ADN est diffus dans la cellule.
Métazoaires
organismes pluricellulaires eucaryotes :
vers, minuscules crustacés, larves de
poisson, méduses...
© Science
La prestigieuse revue
scientifique
Science
a offert
la couverture de son numéro
de mai à l’expédition Tara
Océans. Fait rare et témoin de
l’importance de leur apport,
elle publie simultanément les
5 premiers résultats basés sur
l’exploitation des données de
quelques milliers d’échantillons
sur les 35 000 récoltés au
cours de l’expédition. Trois
d’entre eux décrivent des
communautés planctoniques
de différentes tailles (virus,
bactéries et eucaryotes), les deux
autres s’attachant plus à leur
fonctionnement.
Tara à la une
de Science