Un vent de changement souffle sur le secteur spatial. Les constellations de satellites et les missions à faible coût bousculent l'approche traditionnelle du spatial avec un appétit nouveau pour les composants fabriqués à haut volume pour le marché terrestre. Cette tendance pousse à l'innovation en matière de panneaux solaires spatiaux à faible coût tout en prenant en compte les besoins clés du domaine spatial : puissance suffisante en fin de vie, densité de puissance importante (W/g, W/m², W/m3).
Historiquement, les cellules solaires au silicium ont été développées avec les applications spatiales. Puis, dans les années 1990, les cellules à triple jonction GaAs/Ge, puis GaInP/GaAs/Ge, ont remplacé le silicium en raison de leurs rendements élevés et de leur grande résistance aux irradiations (électrons et protons) [1]. Aujourd'hui, les cellules III-V utilisées pour le spatial combinent plusieurs absorbeurs, pour convertir une large partie du spectre solaire AM0 [2], atteignant des rendements record jusqu'à 39,2% AM1.5g, pour une épaisseur de l'ordre de 150μm, ce qui les rend relativement massives [3].
Actuellement, les pérovskites d'halogénure métallique à base de plomb (ABX3) se positionnent comme technologie de rupture dans le paysage photovoltaïque [4]. Ces matériaux attirent un nombre considérable de recherches et leur rendement de conversion photovoltaïque a rapidement atteint des records de plus de 25 % en configuration simple-jonction [5]. En plus de ces progrès rapides en performance, l'épaisseur de ces cellules sont très faibles (< 0.5μm de matériau photo-actif) permettant d'atteindre des densités de puissance très élevées d'environ 30 W/g [6], soit des densités 10 fois plus élevées que les cellules en silicium à couche mince ou GaAs flexibles à simple jonction. De plus, des études récentes ont montré l'excellente résilience de ce type de matériau photovoltaïque face à certains flux de particules chargées représentatifs de l'environnement spatial [7,8].
Au-delà de tests de vieillissement accélérés en conditions représentatives de l'espace, peu de données pour cette technologie émergente existent sur ses performances en environnement spatial, donc sous contraintes multiples (irradiations, UV, vide, thermique, etc.). Il est donc primordial pour la communauté scientifique et les acteurs industriels d'étudier le comportement de dispositifs pérovskites en conditions réelles de vol.
En partenariat avec Airbus Defense and Space et l'ONERA, le CEA a eu l'opportunité d'envoyer des mini-modules pérovskites sur un nano-satellite pour étudier l'évolution de leurs performances photovoltaïques en environnement spatial. L'assemblage se fait sur un nano-satellite 3U (10x10x30cm3) de la société Qosmosys (Singapour), dont l'altitude de croisière est planifiée à 530km pour une durée minimale de fonctionnement de 1 an. Cette altitude correspond à une orbite basse (on parle aussi de Low Earth Orbit : LEO) dans laquelle l'amplitude de température entre les phase d'éclipse et d'exposition au soleil sera [-50 ; +60°C].
Cette expérience doit permettre de suivre deux paramètres photovoltaïques : la tension de circuit ouvert Voc sur un dispositif, et le courant de court-circuit Isc sur un deuxième dispositif.
Les challenges sont multiples : au niveau du design de l'architecture des mini-modules et de son intégration avec la carte de circuit électronique (PCB), en prenant en compte les contraintes de masse et géométrie ; au niveau des matériaux utilisés, qualifiés ou compatibles avec l'environnement spatial ; au niveau de l'interconnexion qui doit être robuste et fiable, sans pertes résistives notables ; et dans des délais très courts pour fournir les prototypes finaux.
Le CEA à l'INES a réalisé des mini-modules pérovskites simple jonction, constitués de 3 sous-cellules mises en forme par étapes laser, et assemblés sur un PCB. Les mesures initiales ont montré de bonnes performances pour ces mini-modules pérovskites, avec une Voc de 3.36V et un Jsc de 27.4mA/cm² (flux solaire spatial AM0). Ces deux paramètres seront suivis dans l'espace après lancement.
© CEA
Le lancement du nano-satellite a eu lieu avec succès en Janvier 2023 ; c'est une première pour une technologie photovoltaïque du CEA et également un premier test en vol pour cette technologie au niveau européen. Les données de télémétrie permettront d'étudier l'évolution des performances des mini-modules pérovskites en vol et de les comparer avec le suivi d'échantillons similaires conservés dans nos laboratoires pour dé-corréler l'instabilité temporelle intrinsèque de ces pérovskites des effets de l'environnement.
A terme il pourra être décidé de faire une corrélation sol/vol avec des prototypes de la même série, vieillis en conditions similaires en enceinte.
Nos équipes sont impatientes d'analyser les données qui commencent à nous parvenir avec l'initialisation du nano-satellite.