Le tritium (3H), le krypton-85 (85Kr) et le carbone-14 (14C) sont parmi les gaz radioactifs les plus rejetés par l’industrie nucléaire lors de la production d’électricité ou du recyclage des déchets radioactifs [1]. Si ces radionucléides
[2] ne constituent pas un risque majeur, leur mesure précise est un indicateur essentiel pour surveiller le bon fonctionnement des centrales nucléaires et prévenir les accidents. Cependant, ces radionucléides font partie de ceux dont la désintégration radioactive ne s’accompagne pas d’émission de rayons gamma, ils sont émetteurs beta purs, et nécessitent des procédés de détection et de mesure spécifiques. À l’heure actuelle, les technologies employées reposent sur des principes de mélange gaz-liquide et gaz-gaz, mais elles s’avèrent onéreuses et complexes, ne permettent pas de distinguer les radionucléides rapidement, génèrent des déchets et sont très peu efficaces pour certains des gaz radioactifs analysés.
Les travaux menés par les scientifiques de l’Institut lumière matière (CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1), du Laboratoire de chimie de l’ENS de Lyon (CNRS/ENS de Lyon/Université Claude Bernard Lyon 1) et du Laboratoire national Henri Becquerel (CEA) ont permis de développer une technologie de détection en temps réel fiable et à moindre coût, basée sur un mélange gaz-solide. Elle repose sur la synthèse d'un aérogel d'environ un centimètre d'épaisseur et de quelques centimètres de diamètre, à partir de nanoparticules de matériaux scintillants dont la taille est de l'ordre de 5 nanomètres. Ce composite possède une structure ultraporeuse, semblable à une éponge, constituée à seulement 15 % de solide tout en étant transparent. Cette architecture singulière permet aux gaz de diffuser avec une grande facilité. Lorsque le gaz pénètre dans la cuvette à scintillation et entre en contact avec l'aérogel, celui-ci convertit l'énergie produite par l'émission d'électrons lors de la désintégration des radionucléides en lumière visible. Ce flash lumineux est aussitôt capté par un système de détection ultrasensible, capable de mesurer chaque photon quasi instantanément.
L’analyse fine de ces émissions de lumière a permis de développer une méthode innovante pour distinguer et mesurer en ligne les émissions beta pure de différentes énergies, comme par exemple celles du tritium et du krypton-85 dans un même échantillon de gaz. Ces découvertes ont été développées et validées de manière à la fois théorique et expérimentale grâce à une expérience de pointe sur gaz radioactifs. Les rendements de détection obtenus sont de 20 % pour le tritium et de presque 100 % pour le krypton. Enfin, le scintillateur inorganique n’est pas contaminé par les gaz radioactifs, ce qui le rend réutilisable et limite la production de déchets, à l’opposé des autres techniques.
Cette nouvelle approche de détection de gaz radioactifs permet d’envisager un large déploiement de capteurs dédiés à la surveillance des activités nucléaires civiles. Elle pourrait être étendue à d’autres radionucléides émetteurs beta, également cruciaux pour la surveillance du territoire, comme le carbone-14 (14C), le xénon-133 (133Xe) et l’argon-37 (37Ar), ce qui permettrait d’étendre les champs d’applications aux domaines civil, médical et militaire.
Cette découverte s’inscrit dans le cadre du projet européen SPARTE [3] et fait l’objet de plusieurs dépôts de brevets.
[1] Une moyenne de 400 térabecquerel (soit 400 x 1012 becquerel), par gigawatt électrique par an pour la production d’électricité.
[2] Atome avec un noyau instable
[3] Financé par l’union européenne dans le cadre du programme Horizon 2020 FET – OPEN.
https://www.sparte-project.eu/