Vous êtes ici : Accueil > Actualités > « La recherche est une vraie chance »

Actualité | Portrait | Recherche fondamentale | Matière & Univers | Physique | Laser

« La recherche est une vraie chance »


Le 3 octobre dernier, deux anciens chercheurs du CEA, Anne L’Huillier et Pierre Agostini, ont reçu le prix Nobel de physique, avec le Hongrois Ferenc Krausz. Une reconnaissance exceptionnelle pour leurs travaux menés à Saclay, au sein de ce qui est aujourd’hui le laboratoire « interactions, dynamiques et lasers », le Lidyl.

Si elle enseigne désormais à Lund, en Suède, Anne L’Huillier ne cache pas son plaisir à revenir auprès de ses anciens collègues et amis. Rencontre.

Publié le 8 décembre 2023

​Vous avez reçu un prix Nobel, sans doute la distinction la plus prestigieuse pour une carrière scientifique. Comment avez-vous vécu cette annonce ?

Anne L’Huillier : Le comité Nobel m’a appelée pendant la pause, alors que je donnais un cours à l’université de Lund. Ma première pensée a été pour mon mari, un Suédois pour lequel je suis partie m’installer dans ce pays. Au début des années 1990, la Suède avait acquis un nouveau laser titane-saphir, un équipement unique en Europe, sur lequel mes confrères suédois m’invitaient à mener des expériences. Je m’y suis donc rendue, un étudiant dans ma R5 et le spectromètre que nous avions mis au point au CEA dans un camion. Après une campagne réussie et une parenthèse américaine, j’ai enchaîné les allers-retours Saclay-Lund, afin de m’établir avec mon (futur) mari rencontré sur place. Nous étions alors en 1994 et j’étais sans doute la première chercheuse à expérimenter le télétravail… Le CEA m’a permis de travailler à distance et je lui en suis très reconnaissante ! En 1995, j’ai finalement obtenu un poste de maître de conférence à l’université de Lund, et je suis passée d’une carrière de chercheuse à celle d’enseignante-chercheuse. Mais je reviens très régulièrement en France et au CEA, où j’ai gardé des liens étroits avec mes anciens étudiants et le laboratoire.

Quel regard portez-vous sur ce laboratoire, le Lidyl, et la poursuite des travaux au CEA ?

ALH : Je suis jalouse de la plateforme ATTOlab ! Cet équipement d’excellence, que coordonne le Lidyl, est à la pointe des infrastructures laser pour les études femto et atto-seconde, avec plusieurs lignes de lumière. Honnêtement, au moment des premières découvertes, nous ne nous doutions pas de l’importance de ces travaux. Je n’aurais jamais pu imaginer qu’il en découlerait des recherches si vastes et des plateformes techniques comme celles que possède aujourd’hui le CEA. Les impulsions attosecondes ont des applications en recherche fondamentale pour étudier la dynamique des électrons dans les atomes, mais aussi du côté de l’industrie, en chimie et en biologie, en matière condensée ou encore dans l’électronique pour assurer la métrologie de circuits imprimés toujours plus miniaturisés.

L’attoseconde, plus vite qu’un flash

Une attoseconde correspond à 10-18 seconde, une durée tellement brève que même un flash d’appareil photo ultra-perfectionné ne parvient pas à la saisir. Ce sont pourtant ces échelles qu’il faut atteindre pour observer le mouvement des électrons dans la matière.  

Vos collègues n’hésitent pas à vous décrire comme « une expérimentatrice remarquable et une fine théoricienne ». À quel point est-ce important d’agir sur ces deux versants de la recherche à la fois ?

ALH : Pour moi, il n’y a pas la théorie d’un côté et les expériences de l’autre ; il n’y a qu’une seule chose : la physique. Cumuler expérience et théorie est indispensable lorsqu’on se plonge dans un domaine encore balbutiant, même si cela ne doit pas empêcher d’échanger avec des confrères plus spécialisés dans l’un ou l’autre volet. Quand j’ai commencé mes travaux de thèse, l’aspect optique avec la propagation des harmoniques dans un milieu non linéaire était un nouveau sujet, et c’est là-dessus que j’ai cherché à contribuer avec mes étudiants et mes collègues au CEA. En parallèle de cette approche théorique, pour avancer, nous avions besoin d’instruments. Et comme ils n’existaient pas, il a bien fallu les concevoir ! C’était donc une nécessité qui, je crois, a enrichi les travaux au lieu de les contraindre.

Vous êtes seulement la deuxième Française à obtenir le prix Nobel de physique, avec Marie Curie, et la cinquième au monde. Quel message aimeriez-vous passer aux jeunes femmes qui se lancent dans une carrière scientifique ?

ALH : Persévérez ! Il existe des moments de doute et des obstacles, comme dans toute carrière. Cela ne doit pas empêcher de se fier à ses intuitions et poursuivre ses passions, car la recherche est une vraie chance. C’est une carrière qui offre à la fois une forme de liberté - ne serait-ce que dans les horaires - et la possibilité de faire avancer la science et la société toute entière. Je note que depuis une dizaine d’années, les lignes bougent, et aujourd’hui mon groupe de recherche est constitué d’environ 40 % de femmes. Je ne dis pas que c’est facile, mais ce n’est pas impossible à condition d’abandonner les a priori. Il ne faut pas partir vaincue d’avance.




Haut de page

Haut de page