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Eclairage

La toute première image d'un trou noir supermassif


Les astrophysiciens du CEA Jérôme Rodriguez (CEA-Irfu) et Catherine Cesarsky, membre de l’Académie des sciences, ancienne Haut-commissaire à l’énergie atomique, reviennent sur la toute première image d’un trou noir supermassif jamais obtenue. Le trou noir de la galaxie M87 est située à 53 millions d'années-lumière et son image a été révélée le 10 avril 2019 par le consortium scientifique Event Horizon Telescope.
Publié le 12 avril 2019

Qu’est-ce que les travaux présentés par l’Event Horizon Telescope vous apportent en tant que chercheur étudiant les trous noirs ?

RODRIGUEZ.jpgJérôme Rodriguez : Nous n’avions jamais vu de trous noirs puisque, par définition, rien n’en ressort, pas même la lumière. Nos connaissances sur ces objets provenaient jusque-là de mesures indirectes de la taille de leur disque d’accrétion (que nous n’avions jamais pu observer directement) et d’arguments également indirects, concernant leur compacité. Au centre de notre Galaxie, par exemple, la masse du trou noir central a pu être déterminée grâce à ses effets gravitationnels sur les étoiles les plus proches (leurs orbites), et il a été, de plus, possible de contraindre une limite supérieure à sa dimension par l’orbite de ces étoiles, une valeur en réalité supérieure de plusieurs ordres de grandeur à l’horizon réel du trou noir. 
 
Le pouvoir de résolution de l’image de EHT est le plus élevé jamais atteint. Il permet de résoudre l’enveloppe (ou horizon) du trou noir. C’est aussi la première confirmation directe de l’existence de ces objets : d’une part, on arrive à y distinguer la matière jusqu’au moment où elle disparaît mais on voit aussi l’« ombre » ou la « silhouette » de l’objet central. En fait, nous avons observé le trou noir par son absence de rayonnement (la tache sombre du centre de l’image EHT).
 
Cerise sur le gâteau : l’image montre bien, comme prédit par la théorie de la relativité, un anneau entier, alors que la partie de l’anneau derrière l’objet devrait être invisible. Or les rayons lumineux provenant de cette partie cachée sont courbés par l’objet dense et peuvent nous parvenir. 
 
En tant que chercheur étudiant les processus d’accrétion et d’éjection dus aux trous noirs stellaires (issus de l’évolution des étoiles massives), cette observation est une confirmation extraordinaire d’un modèle établi sur la base de diagnostics observationnels autres que l’imagerie directe tels que la spectroscopie, mais aussi à partir d’approches théoriques et numériques. 
 
Quelles hypothèses ces résultats permettraient-ils de tester, valider ou invalider ? Quelles nouvelles questions posent-ils ?
 
Jérôme Rodriguez : L’image confirme d’une manière remarquable l’idée que nous avions des régions proches du trou noir établie à partir de diagnostics indirects. Ce qui est assez incroyable, c’est que ce résultat valide en tous points non seulement les prédictions théoriques de la relativité d’Einstein, mais aussi les images numériques produites depuis plusieurs décennies, notamment les travaux précurseurs de Jean-Pierre Luminet, dès la fin des années 1970. De plus, la taille et la masse mesurées à partir de l’image de l’EHT sont en accord avec les mesures estimées auparavant à partir des méthodes indirectes. 
 
Je suis désormais très curieux de savoir si on va pouvoir aller plus loin avec ces images. Peut-on isoler certaines sous-régions, mieux sonder et contraindre la matière au bord du trou noir (le fameux disque d’accrétion), suivre son évolution lors de sa chute dans le trou noir ou au contraire les phases les plus préliminaires de son éjection ? Cela semble aujourd’hui compliqué car les techniques observationnelles mises en jeu nécessitent que la source ne soit justement pas variable. 
 
Il est déjà possible de déduire de ces images les deux paramètres décrivant un trou noir – sa masse et sa vitesse de rotation – et de les confronter aux valeurs prédites par des modèles dont certains sont controversés.
 
Enfin, on a observé un trou noir supermassif. On pense qu’il y en a un au centre de chaque galaxie : il faut répéter ces observations, en commençant par notre Galaxie qui, on le sait, contient un trou noir (moins massif que M87) pour comprendre certaines de ses caractéristiques et son environnement. 
 
 Est-ce un apport scientifique ou plutôt une belle mise en visibilité de la discipline ?
 
Jérôme Rodriguez : Ces résultats représentent indéniablement un apport scientifique fondamental puisqu’ils permettent de répondre à la question même de l’existence des trous noirs. C’est un exploit technique et technologique indéniable. Nous sommes aujourd’hui dans des conditions d’observation qui permettent de résoudre des tailles d’objets extrêmement faibles. On pourrait rêver de résoudre aussi les différentes parties du disque d’accrétion d’un trou noir, voire même la base des jets de matière éjectée, d’observer l’influence du trou noir sur son environnement et de mesurer plus précisément sa masse et son taux de rotation.


C’est aussi une belle mise en lumière de la discipline mais aussi de l’abnégation des chercheurs, un excellent exemple de collaboration à des fins de connaissance pure.  Une superbe mobilisation d’instruments qui n’étaient pas destinés à travailler ensemble ! La combinaison des données de ces différents télescopes était en elle-même un vrai défi.



Podcast : La forme d'un trou noir

Catherine_Cesarsky_-_ESO.jpg« Cela a été réalisé et c’est identique au dessin qu’on avait fait à l’avance. Il y a des fois comme ça où, vraiment, on peut tout prévoir » Catherine Cesarsky est astrophysicienne et membre de l’Académie des sciences, ancienne Haut-commissaire à l’énergie atomique. Elle revient sur la révélation de la toute première photo d’un trou noir située à 53 millions d'années-lumière par le consortium scientifique Event Horizon Telescope, le 10 avril 2019.

AudioLa forme d'un trou noir


La toute première photo d’un trou noir située à 53 millions d'années-lumière révélée par le consortium scientifique Event horizon Telescope, le 10 avril 2019. © Event Horizon Telescope Collaboration




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