Les paramécies, organismes unicellulaires eucaryotes, sont
hermaphrodites : lors de leur reproduction sexuelle, appelée
conjugaison, les partenaires s’échangent réciproquement du matériel
génétique. Les paramécies présentent néanmoins deux ‘types sexuels’,
appelés E et O. La conjugaison ne peut avoir lieu qu’entre types sexuels
différents. Dès les années 1940, des chercheurs comme Tracy Sonneborn
avaient remarqué que le type sexuel ne se transmettait pas à la
descendance en suivant les lois de Mendel : un nouveau type de
transmission des caractères, ne dépendant pas des chromosomes, devait
être à l’œuvre. Cependant, ils n’avaient pas réussi à l’élucider.
Aujourd’hui, l’équipe d’Éric Meyer à l’institut de biologie de l’ENS et ses collaborateurs [2]
viennent de décrire le mécanisme de cette hérédité alternative. Pour
cela, ils ont d’abord montré que la différence entre les types sexuels E
et O tient à une protéine transmembranaire appelée mtA. Bien que le
gène qui la code soit présent chez les deux types sexuels, il ne
s’exprime que chez les individus E. Les chercheurs ont ensuite montré le
mécanisme par lequel, chez le type O, ce gène est inactivé.
Les paramécies possèdent deux noyaux : un micronoyau germinal qui est
transmis lors de la reproduction sexuelle et un macronoyau somatique,
issu de ce dernier, où s’expriment les gènes de la cellule. Le mécanisme
de transmission des types sexuels se base sur de petits ARN, appelés
scnARN, qui sont produits durant la méiose. La fonction originelle de
ces ARN est d’éliminer du macronoyau toute une série de séquences
génétiques, appelées éléments transposables, qui, à la manière des
introns [3], se sont introduits à l’intérieur des gènes au cours
de l’évolution. Dans un premier temps, les scnARN scannent le
macronoyau maternel afin d’identifier les séquences qui avaient été
éliminées à la génération précédente, puis effectuent les mêmes
réarrangements dans le nouveau macronoyau.
[1] L’épigénétique fait partie de la génétique au sens
large, c’est-à-dire l’étude des mécanismes de l’hérédité. Elle désigne
plus particulièrement l’étude de la transmission héréditaire de
caractères variables qui ne dépendent pas de séquences d’ADN variables.
[2]
En collaboration avec le Centre de génétique moléculaire (CNRS), le
laboratoire Biométrie et biologie évolutive (CNRS/Université Claude
Bernard Lyon 1), l’Institut Jacques Monod (CNRS/Université Paris
Diderot) et le CEA (Institut de génomique).
Des équipes polonaises, russes et américaines ont également collaboré à ces travaux.
[3] Portions de la séquence des gènes, souvent non-codantes, qui doivent être retirées pour que la séquence soit fonctionnelle.
[4]
En référence à Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829) dont la théorie sur
l’évolution du vivant abordait la transmission des caractères acquis.
Or, de façon inattendue, ce
mécanisme de « nettoyage » du génome permet aussi à la cellule de mettre
sous silence des gènes fonctionnels. Chez l’espèce Paramecium
tetraurelia, chez les individus de type O, les scnARN éliminent le
promoteur du gène mtA, ce qui annule son expression. Ainsi, c’est par le
biais des scnARN hérités avec le cytoplasme maternel, et non d’une
séquence génétique particulière, que le type sexuel de la paramécie est
défini.
Ce processus de mise sous silence peut a priori toucher n’importe
quel gène. Les paramécies peuvent donc, en théorie, transmettre à leur
descendance sexuelle une infinie variété de versions du génome
macronucléaire à partir du même génome germinal. Comme pour l’hérédité
génétique, ce mécanisme peut conduire à des erreurs qui, de temps en
temps, peuvent apporter à la descendance un avantage sélectif. Autrement
dit, le génome du macronoyau somatique de la paramécie pourrait évoluer
en continu et permettre, dans certains cas, une adaptation à court
terme aux changements de conditions environnementales. Ceci, sans que
des mutations génétiques soient impliquées. Cette forme d’hérédité de
type lamarckien [4] offrirait ainsi un levier d’action encore insoupçonné à la sélection naturelle.