Dans le cadre de l’essai clinique HGB-205 de phase I/II, quatre patients béta-thalassémiques et trois patients drépanocytaires âgés de 13 à 21 ans ont été traités par thérapie génique lentivirale. Ils ont été suivis pendant une durée médiane de 4,5 ans après inclusion dans les protocoles spécifiques dédiés LTF-303 (pour les patients beta-thalassémiques) et LFT-307 (pour les patients drépanocytaires).
Selon les résultats, les patients atteints de beta-thalassémie sont tous devenus « transfusion indépendants », dès le premier mois après le traitement, avec une nette amélioration de la surcharge en fer et une correction des paramètres biologiques liés à l’anémie chronique.
Une rémission de toute la symptomatologie clinique2 et une correction des paramètres biologiques, soutenues dans le temps, ont été obtenues chez deux des trois patients drépanocytaires traités. Une réduction du rythme transfusionnel a été obtenue pour le troisième patient drépanocytaire.
L’ensemble de ces résultats est maintenu dans le temps avec plus de 4 ans et demi de suivi pour trois patients. Aucun effet adverse lié à l’utilisation du vecteur lentiviral thérapeutique n’a été observé.
Pour les patients atteints de beta-thalassémie, les résultats rapportés à long terme montrent que la thérapie génique par addition des gènes est devenue une option curative potentiellement utilisable chez l’ensemble des patients qui ne disposent pas d’un donneur de cellules souches hématopoïétiques compatible.
Dans le cas de la drépanocytose, la correction des paramètres biologiques liés à l’anémie chronique de deux patients sur trois apporte la preuve du principe de son efficacité et ouvre la voie à l’introduction d’améliorations ultérieures dans le but d’obtenir le même résultat chez l’ensemble des patients drépanocytaires traités.
Drépanocytose et beta thalassémie dépendante des transfusions
La drépanocytose et la beta-thalassémie dépendante des transfusions sont des maladies génétiques fréquentes. Elles constituent donc un problème important de santé publique. Ces deux anémies chroniques sont dues à des mutations du gène codant la chaîne beta de l’hémoglobine adulte (HbA).
La beta-thalassémie dépendante des transfusions se caractérise par une absence (beta 0) ou une forte réduction (beta+) de la synthèse de chaînes beta-globine, responsable d’une fabrication inefficace des globules rouges et d’une anémie hémolytique chronique et sévère, requérant des transfusions de globules rouges tout au long de la vie. L’accumulation de fer qui s’en suit peut provoquer la survenue d’une insuffisance cardiaque, de cirrhose, d’un cancer du foie et de multiples anomalies endocriniennes.
La drépanocytose résulte de la mutation d’un acide aminé en position 6 de la chaîne beta-globine (mutation E6V), avec comme conséquence la polymérisation de l’hémoglobine drépanocytaire HbS (hemoglobine « sickle » en anglais) une fois les molécules d’oxygène (O2) délivrées. La polymérisation de l’HbS est à l’origine de crises vaso-occlusives douloureuses caractérisées par une obstruction locale de la circulation sanguine qui peuvent toucher tous les organes et d’une anémie hémolytique chronique3. La répétition des crises vaso-occlusives et l’atteinte vasculaire portent atteinte à plusieurs organes vitaux comme les poumons, les reins, le système nerveux central et le cœur, avec une diminution importante de la durée de vie moyenne des sujets atteints.
Comme pour la quasi-totalité des maladies génétiques du système hématopoïétique, la seule option curative consiste à greffer des cellules souches hématopoïétiques. Cette approche donne de très bons résultats cliniques et une faible mortalité lorsqu’un donneur de la fratrie HLA-compatible est disponible. Malheureusement, un pourcentage limité des patients peut bénéficier de ce traitement (<20%). Le recours à des donneurs partiellement compatibles limite grandement les chances de succès et comporte une morbidité à long terme significative, en particulier chez les patients les plus âgés.
Thérapie génique
La thérapie génique, grâce à la transplantation des cellules souches provenant du patient même, génétiquement modifiées, est une alternative prometteuse. Elle comporte de faibles risques de toxicité immunologique étant donné qu’aucun traitement immunosuppresseur n’est requis. Elle peut être mise en place pour chaque patient qui en a besoin, le patient étant son propre donneur.
La thérapie génique par addition des gènes est la première stratégie à avoir vu le jour dans cette indication en exploitant la capacité des vecteurs lentiviraux4 à transférer une information génétique complexe dans le génome de cellules souches hématopoïétiques sans que les cellules aient besoin d’effectuer une division cellulaire.
Le vecteur lentiviral utilisé dans cet essai clinique de phase I/II a été mis au point par l’équipe dirigée par le Pr Philippe Leboulch. Ce vecteur permet la synthèse d’une forme modifiée de la chaîne beta-globine (betaT87Q), modification génétique qui a un double intérêt: elle lui confère une propriété anti-polymérisante comparable à celle de la chaîne gamma de l’hémoglobine fœtale (HbF) chez les patients drépanocytaires et permet son dosage spécifique dans le sang des patients traités. En effet la chaîne betaT87Q-globine peut être distinguée des autres chaînes de globines par chromatographie liquide sous haute pression, en particulier de la chaîne beta-globine issue de l’hémoglobines adulte (HbA), produite de manière endogène chez les patients beta-thalassémiques porteurs de mutations beta+ et présente dans les globules rouges transfusés.
1/Les cellules souches hématopoïétiques sont nichées dans la moelle osseuse et sont à l'origine des différentes cellules du sang : les globules rouges, les globules blancs et les plaquettes.
2/L’ensemble de signes cliniques pathologiques qui caractérisent une maladie.
3/Il s’agit d’une pathologie souvent héréditaire qui atteint les globules rouges avec, in fine, une réduction pathologique de leur nombre incompatible avec la vie et nécessitant des transfusions sanguines régulières dont la fréquence est dictée par le niveau d’Hémoglobine et les symptômes cliniques.
4/Il s’agit des navettes d’informations génétiques dans le noyau des cellules dérivées du virus HIV-1 auquel on a enlevé les éléments génétiques qui lui permettent de se répliquer et de donner la maladie infectieuse dont il est responsable. Les éléments qui leur permettent de franchir la membrane nucléaire et de s’intégrer d’une façon stable dans le génome des cellules cibles ont en revanche été conservés.