Qu’est-ce que la deep tech ?
On en parle en effet beaucoup, et il est important de bien définir ce terme. Bpifrance a récemment proposé une définition détaillée de la startup deep tech, à laquelle nous souscrivons totalement : elle repose sur des technologies ou une combinaison de technologies de rupture, issues de la recherche et qui s’appuie sur une équipe et une gouvernance en lien fort avec le monde scientifique. Elle présente de fortes barrières à l’entrée, matérialisées par des verrous technologiques difficiles à lever. Elle nécessite un temps de maturation et de pénétration sur le marché plus long et des capitaux plus importants que les start-up classiques d’innovation d’usages et de services.
Les technologies en question concernent l’électronique, la photonique, l’intelligence artificielle, les biotechnologies, les matériaux avancés… Avec ce fort potentiel disruptif, la deep tech peut viser pratiquement tous les marchés applicatifs, de l’aéronautique à la santé en passant par l’énergie.
Comment expliquer son essor ?
La convergence de résultats scientifiques arrivant à maturité dans différents domaines, ainsi que l’explosion de la production et de la gestion de données, ouvrent des champs d’innovation uniques. Par ailleurs, l’accélération de la compétition mondiale oblige les tissus industriels et le monde économique à se réinventer, dans une optique de création d’emplois durables. Il s’agit également d’être en mesure de répondre aux grands enjeux sociétaux de l’énergie, de l’environnent, de l’alimentation, de la mobilité… Et pour cela, il y a vraiment besoin de ruptures technologiques.
La France et plus généralement l’Europe ont une recherche académique de rang mondial ; elles devraient pouvoir être leader en création de start-up deep tech, au même titre que Israël, les Etats-Unis ou la Chine. C’est aujourd’hui le bon moment pour transformer la recherche technologique en valeur économique.
Cette transformation de la recherche technologique en valeur économique nécessite justement du temps et de l’argent…
Un entretien à retrouver dans 'Défis du CEA' N°236
Oui, elle mobilise nécessairement des capitaux très importants, souvent publics car il s’agit en premier lieu de nombreuses années de recherche au sein de laboratoires. Cela nécessite surtout un accompagnement à la fois technologique pour « maturer » l’idée et garantir le passage à l’industrialisation, et financier pour s’assurer du développement de la start-up dans la durée.
Le temps est également nécessaire pour accompagner l’équipe : les chercheurs à l’origine des inventions doivent s’approprier la culture entrepreneuriale et savoir s’associer aux bons partenaires.
A cet égard, le CEA dispose d’outils atypiques…
En effet, le CEA fait figure de pionnier en ayant créé dès 1999 son dispositif d’accompagnement et sa filiale CEA Investissement[1], puis en 2017 la société Supernova Invest[2]en partenariat avec Amundi. Grâce à ces outils, les projets de start-up sont détectés, accompagnés et financés dès l’amorçage jusqu’aux phases de croissance. Car l’ambition du CEA consiste non seulement à faire émerger des start-up de haute-technologie, mais aussi à accompagner leur développement, comme ce furent les cas de Sofradir[3] en 1986 et Soitec[4] en 1992. Aujourd’hui, ces deux entreprises comptent près d’un millier de salariés chacune. D’autres start-up plus récentes comme Aledia ou Diabeloop sont également fortement soutenues par le CEA.
Startup au CEA : Chiffres clé
- 70 % des start-up créées par le CEA sont encore en activité (dont 90% pour celles créées il y a 5 ans)
- 858 millions d'euros levés par les start-up du CEA depuis 2000, dont 144 millions pour la seule année 2018
- Près de 5000 emplois générés dans des filières d'avenir par les start-up du CEA
[1] Fond d’amorçage technologique, filiale du CEA fondée en 1999 au capital actuel de 72 millions d’euros.
[2] Société de gestion indépendante, créée par le CEA et Amundi en 2017, gérant 5 fonds (dont celui de CEA Investissement) pour un total de 250 millions d’euros.
[3] Spécialiste des détecteurs infrarouges, essaimée du CEA-Leti, qui vient par ailleurs d’investir 150 millions d’euros dans le programme Nano 2022 (volet français du plan européen Nanoélectronique) auquel participe également le CEA.
[4] Fabricant de matériaux semi-conducteurs innovants essaimé du CA-Leti.
Corinne Borel, Directrice déléguée à l'essaimage au CEA © CEA
L’ambition du CEA consiste non seulement à faire émerger des start-up de haute-technologie, mais aussi à accompagner leur développement, comme ce furent les cas de Sofradir[1] en 1986 et Soitec[2] en 1992. Aujourd’hui, ces deux entreprises comptent près d’un millier de salariés chacune.
[1] Spécialiste des détecteurs infrarouges, essaimée du CEA-Leti, qui vient par ailleurs d’investir 150 millions d’euros dans le programme Nano 2022 (volet français du plan européen Nanoélectronique) auquel participe également le CEA.
[2] Fabricant de matériaux semi-conducteurs innovants essaimé du CA-Leti.
En quoi les start-up sont-elles un élément stratégique pour le CEA ?
Startup au CEA : Répartition par domaines
- Logiciels & systèmes : 27 %
- Microélectronique et microsystème : 23 %
- Biotechnologies & santé : 20%
- Nouvelles technologies de l’énergie : 15 %
- Matériaux : 5 %
- Autres : 10 %
Aujourd’hui, la start-up devient un élément clé dans le transfert de technologies innovantes dans des filières existantes ou dans le développement de nouvelles filières. Elle est très agile pour faire pénétrer sur le marché des innovations de rupture, et pour mobiliser des fonds de plus en plus nombreux. Pour preuve, l’investissement mondial dans la deep tech croît de 20% en moyenne depuis 2015, avec près de 18 milliards de dollars en 2018[1]. Les grands groupes l’ont bien compris ! Ils développent des stratégies de rapprochement voire de rachat de ces start-up, pour répondre aux enjeux de la compétitivité économique mondiale, en acquérant de nouvelles compétences et solutions clés en main, celles des start-up.
C’est la même chose pour le CEA. Dans sa mission de transfert de l’innovation à l’industrie, la création d’entreprises est un excellent moyen de transférer ses technologies et son savoir-faire, de les intégrer dans des dispositifs qui deviendront, après développement au sein de la start-up, des produits industrialisés. Les investissements et risques liés à la mise sur le marché sont ainsi partagés.
La politique partenariale du CEA passe peu à peu d’un modèle de collaboration bilatérale avec les industriels, à un modèle de collaboration « écosystème » qui rassemble les grands groupes, les labos et les start-up, le plus souvent autour de plateformes technologiques. Cette approche réseau est très attractive pour nos partenaires, comme en témoigne la récente création du MindSphere Center de Siemens, un centre de R&D commun avec le CEA dédié au numérique et à la data intelligence qui associe à nouveau des start-up !
[1] Source, Hello Tomorrow & BCG. Mars 2019
Comment le CEA s’investit-il dans ses start-up ?
Le CEA accompagne les start-up sur l’ensemble des étapes : maturation de l’idée (notamment avec des formations de sensibilisation en interne et d’entreprenariat avec des partenaires comme HEC) ; maturation technologique, maturation de marché (notamment avec nos bureaux d’analyses marketing) ; financement, développement & croissance… Nous mettons également en contact les porteurs de la start-up avec d’autres laboratoires du CEA, experts spécifiques (par exemple, sécurité, réglementation) et avec des industriels, futurs partenaires potentiels. Nous travaillons aussi avec les écosystèmes locaux, notamment les incubateurs (comme par exemple IncubAlliance à Paris-Saclay) qui apportent un accompagnement complémentaire pour les porteurs et qui leur permettent d’accroître leurs réseaux.
A noter, les chercheurs du CEA disposent d’un système incitatif unique : ils peuvent se consacrer à 100% sur leur projet d’entreprise pendant toute l’incubation, qui peut durer jusqu’à 18 mois, et disposer d’un prêt au moment de la création. Nous prenons en contrepartie des parts « fondateurs » dans la start-up.
Le CEA est ainsi à la fois incubateur et accélérateur de start-up !
En effet, nous disposons d’une expertise et de moyens uniques, en particulier de plateformes technologiques de niveau préindustriel pour accompagner les start-up jusqu’à la phase d‘industrialisation. Nous les mettons aussi en lien avec notre réseau de partenaires industriels et pouvons leur faire bénéficier d’un important portefeuille de brevets solides, encore des éléments essentiels dans le deep tech.
Le CEA peut ainsi intervenir comme un porteur d’affaires pour les start-up, tout en assurant leur visibilité que cela soit dans les showrooms de ses antennes régionales ou lors d’évènements prestigieux comme le salon international du nucléaire à Paris, World nuclear exhibition (WNE), ou le plus grand salon mondial des technologies de Las Vegas, le Consumer Electronic Show (CES), sans compter Vivatech des 16 au 18 mai prochain à Paris.
Le CEA constitue pour la start-up un effet « label deep tech », ce qui le rend très attractif notamment du point de vue des investisseurs.
Quel bilan dressez-vous de cette politique de valorisation de la recherche ?
Le bilan est plutôt positif : si le nombre de start-up créées n’est pas impressionnant (une dizaine par an), plus de 75% sont des deep tech. Et, 70% des quelques 210 sociétés créées depuis les années 1980 sont encore en activité. En matière de valeur économique, elles ont généré près de 5000 emplois directs dans des filières d’avenir et une quinzaine d’entre elles dépassent les 50 employés.
Un autre indicateur de qualité réside dans la capacité de nos start-up à lever des fonds : 858 millions d’euros ont été investis depuis 2000, dont 144 millions captés par 11 de nos start-up pour la seule année 2018.
Aujourd’hui, nous devons créer plus de start-up capables de se développer plus rapidement. Pour cela, plusieurs pistes sont à l’étude : relancer des actions d’incitation à la création d’entreprise en direction des chercheurs ; rendre visibles nos offres technologiques auprès des écosystèmes locaux hébergeant des entrepreneurs ou des start-up en incubation : mettre en place des start-up studio qui sont de nouveaux modèles de construction de projets, même sans porteurs, etc…
Les technologies et l’expertise développées au CEA peuvent être encore mieux exploitées pour faire émerger les champions industriels de demain.