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Idées & Débats – Regards croisés

Matériaux critiques : un enjeu de souveraineté


​Sans matières premières, pas de transition énergétique ni numérique. Or, la disponibilité de la plupart de ces métaux est soumise à de nombreux aléas. Un sujet éminemment stratégique où il est question de souveraineté économique, technologique, industrielle et environnementale. Luc Aixala, chef du programme Procédés de fabrication, recyclage et analyse du cycle de vie à la Direction des énergies du CEA et Guillaume Pitron, journaliste, reporter et réalisateur, font le point. 

Publié le 17 juin 2021

Qu’entend-on par matériaux critiques ?

Guillaume Pitron : Un métal est considéré comme critique lorsque sa production est faible par rapport aux métaux abondants, et surtout lorsqu’elle est concentrée dans quelques pays producteurs. Par exemple, le Brésil produit plus de 90 % du niobium, les États-Unis plus de 90 % du béryllium, la Chine plus de 90 % de certaines terres rares. Si bien que l’Europe fait face à un risque de pénurie d’approvisionnement de certains métaux déterminants dans la transition énergétique.


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Cette situation est identifiée depuis 2011 par la Commission européenne qui dresse tous les trois ans une liste de ces métaux critiques. En France, ils sont nommés métaux stratégiques par le comité du même nom parce qu’ils sont au cœur des filières industrielles d’un pays qui n’en maîtrise pas l’extraction. 


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Luc Aixala : La question de l’approvisionnement est cruciale car nous assistons à une explosion du marché des batteries, panneaux photovoltaïques (PV) et moteurs électriques. Les batteries des véhicules électriques contiennent par exemple du lithium, du cobalt et du nickel. Si le premier est relativement disponible, les deux autres le sont moins et sont onéreux (entre 20 et 70 € le kg). Or, des experts estiment que la demande de ces matériaux sera multipliée par six d’ici 2030 par rapport à 2010, ce qui reviendra à produire 150 000 tonnes par an de cobalt contre 25 000 tonnes.  Les industriels européens commencent à évoquer leur difficulté d’approvisionnement, car le secteur est dominé par l’Asie. L’Europe cherche à retrouver sa souveraineté dans la fabrication des batteries en relocalisant leur fabrication dans des gigafactories. Il y a deux projets en France, ceux des entreprises ACC et Verkor, qui visent entre 500 000 et un million de batteries par an. Mais cela représente plusieurs milliards d’euros d’investissement.


En quoi le sujet des matériaux critiques est-il lié à celui de la souveraineté ?

Guillaume Pitron : On constate que la Chine a pensé sa souveraineté minérale au regard de sa souveraineté technologique, avec une vision à long terme. Elle contrôle ses ressources pour capitaliser sur toute la chaîne de valeurs en extrayant, développant et fabriquant batteries, aimants permanents, panneaux PV, etc. Un boulanger ne peut faire un bon pain s’il n’a pas de farine ! Et la Chine l’a bien compris, de la mine au laboratoire.


Luc Aixala : Les entreprises ont conscience de cette problématique, mais demeure le problème de la compétitivité. Par exemple, fabriquer les aimants des moteurs électriques et des éoliennes en mer coûte deux fois plus cher en Europe qu’en Chine. Nous devons faire face à une réalité industrielle difficile. La France et l’Europe s’emparent ainsi du sujet : le plan France Relance accorde 450 millions d’euros aux projets Résilience, dont une partie pour les matériaux critiques et l’alliance européenne des matériaux stratégiques regroupe 500 partenaires industriels pour réfléchir à des projets et plateformes pilotes dans le cadre du programme Horizon Europe.


Guillaume Pitron : Se pose aussi la question des souverainetés environnementale et sociale. Fabriquer une batterie ou un aimant dans un pays où l’on ne maîtrise pas le mix énergétique (par exemple dominé par le charbon et le pétrole), ni les conditions d’extraction du minerai (polluantes voire socialement déplorables), revient à perdre une partie de notre souveraineté en la matière.

Morceaux de cobalt. Matière première pour la préparation de l'alliage de NdFeB
Morceaux de cobalt. © D. Guillaudin / CEA



Luc Aixala : L’analyse du cycle de vie (ACV) des produits, qui consiste en l’étude technico-économique et l’impact environnemental de l’ensemble des étapes de leur fabrication, est en effet un outil très important. L’utiliser dans les programmes Energie du CEA pour nos partenaires industriels permet de mieux concevoir les systèmes bas carbone, voire de générer parfois de réelles symbioses industrielles. Mais, dans les faits, l’ACV ne peut être le seul décideur car, à un moment donné, l’industriel doit pouvoir vendre ses produits. C’est important de le dire, tout comme il faut nuancer le discours du « on va tout recycler ». 


Quelle solution d’avenir pour garantir la disponibilité de ces métaux critiques, si l’on ne peut pas tout miser sur le recyclage ?

Guillaume Pitron : Il est en effet candide de tout miser sur le recyclage. Car entre le moment où un produit rentre sur le marché et le moment où il en sort, il peut se passer dix ans. Or, sa consommation augmentant de 10 % par an, au bout de dix ans il aura fallu en produire encore plus. Et vous vous retrouvez toujours avec des mines à ouvrir. L’avenir sera un mix de matières primaires (extraites) et secondaires (recyclées)


Luc Aixala : En Europe, les réglementations actuelles, et celles se profilant, sont à la hauteur des enjeux environnementaux. Mais le problème est en partie ailleurs. La Direction générale des entreprises a pris les choses en main concernant les aimants permanents. Elle mène depuis plus d’un an des groupes de travail avec les acteurs du secteur qui ont fait émerger plusieurs projets structurants soutenus par France Relance. Mais, force est de constater que des sujets ont été désindustrialisés et qu’il y a des « trous » dans la chaîne de valeur. Il y avait notamment en France le recyclage des terres rares, mais l’usine de Solvay a fermé fin 2016, faute de rentabilité. 

Autre exemple : demain, 100 % des batteries de la mobilité électrique devront être recyclées, il y a donc un marché conséquent. Mais bien que l’Europe ait de grandes capacités technologiques et industrielles en recyclage, elles sont sans commune mesure avec celles de la Chine : 160 000 tonnes par an pour plusieurs usines en cours de construction, quand nos acteurs, comme la SNAM en France, en recyclent 10 à 20 000 tonnes par an. De plus, cela peut vraiment coûter moins cher demain d’envoyer par containers des batteries usées et de les recycler en Chine. Mais cela serait dramatique, tant au niveau économique qu’environnemental. Ne va-t-il pas falloir à un moment aider ces industries stratégiques ?

Détail des composants constituant des accumulateurs Li-ion au format 18650
Détail des composants constituant des accumulateurs Li-ion au format 18650.
© P. Avavian / CEA

​Comment valoriser les matériaux recyclés par rapport à ceux extraits de la mine ?

Guillaume Pitron : Il y a déjà une question de prix des matières premières : si on intégrait dans le coût du néodyme ou de l’indium, celui de la construction de l’hôpital pour soigner les cancers induits par les méthodes d’extraction, et celui de la dépollution de tous les sols, il est certain que ce coût serait bien plus important. Mais les Chinois ne le feront pas, à moins que cela devienne socialement et politiquement intenable. Ce qui n’est pas encore le cas. On pourrait attendre longtemps avant d’être compétitif par les seules règles du marché, et que la matière secondaire soit aussi compétitive que la matière primaire. D’autant plus que les industriels sont soumis aux cycles très changeants des cours des matières premières, avec les difficultés de visibilité et de projections que cela induit pour la filière du recyclage. Nous avons besoin que la puissance publique crée artificiellement de la compétitivité. 

Je crois beaucoup en la relocalisation de nos moyens d’extraction, avec la réouverture de mines en Europe et France. Car la production de ces matériaux dans des conditions environnementales et socialement acceptables est aussi un enjeu éthique. Si on veut une transition écologique et solidaire, du nom du ministère qui en a la charge, il faut qu’à un moment donné on prenne notre part de ce « fardeau » et qu’on ne compte plus sur un autre pour faire la « sale besogne ». Car dans nos systèmes énergétiques, y compris fossiles, tout commence par une cicatrice dans le sol.


Guillaume Pitron est l’auteur de l’ouvrage « La guerre des métaux rares ». Celui-ci a été adapté en BD, intitulée « Promethium » et parue le 22 avril 2021.



Un article extrait de :
Les Défis du CEA 



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Les batteries des véhicules électriques contiennent par exemple du lithium, cobalt et nickel. Des experts estiment que la demande de ces matériaux sera multipliée par six d'ici 2030 par rapport à 2010, ce qui reviendra à produire 150 000 tonnes par an de cobalt contre 25 000 tonnes. » 

Luc Aixala















































L'avenir sera un mix de matières premières (extraites) et secondaires (recyclées).

Guillaume Pitron



















































La production de ces matériaux dans des conditions environnementales et socialement acceptables est aussi un enjeu éthique. » 

Guillaume Pitron















Retrouvez dans les Défis du CEA n°244, à paraître en juillet 2021, un dossier et une infographie consacrés aux matériaux critiques.