Cet article est l’extrait d’un échange qui s'est tenu dans le cadre du cycle de rencontres « Science toi-même ! », organisées par le CEA et CENTQUATRE-PARIS.
De quelles énergies avons-nous besoin pour nos usages et de quelles énergies pourrons-nous encore disposer à l’avenir, compte-tenu des enjeux de sobriété énergétique, plus que jamais d’actualité ?
Stéphane Sarrade : Il faudrait inverser la question, en se demandant d’abord quel choix de société nous voulons faire avant de décider du mix énergétique le plus adapté à ce choix. Avec deux facteurs à prendre en compte. Premier facteur : pouvoir
accéder aux sources d’énergie à un coût compatible avec notre économie. Cette notion de coût est cruciale ! On le voit bien depuis septembre 2021, avec
la hausse inédite des prix de l’électricité et du gaz sur les marchés européens et, plus récemment,
la guerre en Ukraine qui a provoqué, de nouveau, une très forte augmentation de ces prix. Cette guerre n’est pas sans rappeler le premier choc pétrolier de 1973 et la crise énergétique qui s’en est suivie. Je me souviens de la chasse au gaspi, des économies d’énergies à faire, de la limitation de la vitesse de circulation sur autoroute à 130 km/h : personne ne croyait cela possible à l’époque ! C’était un début de sobriété énergétique. Parce que la sobriété doit être forcément être associée au coût lorsque l’on parle d’accessibilité aux sources d’énergies.
L’autre facteur à prendre en compte est l’impact environnemental, qui est double. Il y a d’une part
le changement climatique,
l’augmentation attendue de quelques degrés qui aura des effets dévastateurs. Ce qui s’impose donc à nous, c’est
la décarbonation de nos usages énergétiques dans les domaines de l’habitat, de
la mobilité, de l’industrie ou encore de l’agriculture. Avec comme objectif d’atteindre zéro émission nette de C02 d’ici à 2050. Et il y a d’autre part la préservation des ressources.
Si nous savons ce qu’il faut faire pour décarboner le système énergétique, 50 % des technologies dont nous avons besoin n’existent pas encore. Qu’il s’agisse des technologies de production, de conversion, de
stockage, de flexibilité, de
réseaux intelligents, d'interconnexion entre les réseaux de chaleur, les réseaux d'électricité et les réseaux de gaz....
Rodolphe Meyer / Le Réveilleur : 85 % des énergies utilisées dans le monde sont fossiles. En France, l’électricité est relativement bas carbone, mais pour de nombreux usages, nous restons un « pays fossile » comme les autres. Il y a le changement climatique, la préservation des ressources mais aussi d’autres problématiques environnementales générées par les énergies fossiles, comme la dégradation de la biodiversité, les marées noires ou encore la pollution de l’air qui tue 40 000 personnes par an en France. En outre, les ressources fossiles ont un coût pour les particuliers et ne sont pas extraites sur notre territoire. Cela fait très mal à la balance commerciale : l’argent est envoyé vers l’extérieur plutôt que de servir à développer des activités en France. Il y a par ailleurs énormément d’impacts environnementaux sur toute la chaine d’extraction et de production de ces énergies. L’usage des énergies fossiles crée de tels problèmes que l’on n’a même pas besoin de parler du climat pour sensibiliser la population sur l’urgence d’en sortir.
Quel est le scénario de transition énergétique idéal ?
Stéphane Sarrade :
RTE, notre réseau de transport d’électricité, a publié un rapport fin 2021 avec des scénarios soulevant
des questions sur la sobriété et sur nos modes de vie. En France, en 2022, nous consommons 1600 TWh d’énergie, avec une part d’électricité assez faible, autour de 25 %. Dans les projections de RTE pour 2050, il y a d’abord une baisse de 40 % de notre consommation d’énergie et une augmentation significative de la part de l’électricité, qui sera de 55 %. La transition énergétique, telle qu’imaginée dans les scénarios RTE, passe donc par
une montée en puissance de l’électricité décarbonée. Lorsque l’on parle de 930 TWh de consommation espérée pour 2050, c’est pour un mode de vie qui n’est pas très différent du nôtre... Avec, cela dit, quelques changements non négligeables, comme la mobilité ou l’habitat individuel qu’il faudrait fortement réduire.
Rodolphe Meyer / Le Réveilleur : Il ne faut pas confondre deux axes,
celui de l’efficacité énergétique et celui de la sobriété. Dans tous les scénarios visant à réduire la consommation énergétique finale, on augmente l’usage de l’électricité parce que cela permet de réduire efficacement le recours aux énergies fossiles. Par exemple, aujourd’hui, se déplacer avec des voitures thermiques nécessite à peu près 300 TWh de pétrole par an. Si, demain, nous utilisons des voitures électriques pour notre mobilité individuelle , nous aurons besoin de trois fois moins d’énergie ! L’efficacité énergétique signifie que, pour le même service, on utilise moins d’énergie. Alors que la sobriété, c’est
un changement de comportement, une évolution de nos modes de vie. Où l’on se pose la question de ce dont on a vraiment besoin et s’il est bien nécessaire d’utiliser cette énergie, cet objet, au regard des impacts qui en sont engendrés. Où l’on adapte notre mode de vie et notre besoin en fonction des énergies disponibles. Alors qu’actuellement c’est la production d’énergie qui s’adapte à nos besoins.
Comment peut-on arriver à construire des scénarios optimistes pour 2050 tout en conservant un mode de vie à peu près similaire à celui que nous avons aujourd’hui ?
Stéphane Sarrade : Les scénarios de RTE ne sont pas optimistes ou pessimistes, ils sont factuels. Ce sont 6 scénarios avec ou sans nucléaire, avec une gamme assez large allant de la sobriété et des changements de société jusqu’à des scénarios beaucoup plus ambitieux, notamment sur la réindustrialisation. Parce que se pose aussi ici un autre choix de société : voulons-nous vivre dans un pays complètement dépendant d’autres Etats pour accéder aux sources d’énergie et/ou en produire ? Ou fait-on
le choix de la réindustrialisation ? A l’heure actuelle, nous achetons par exemple des panneaux photovoltaïques en Chine. Est-ce que dans le cadre de la transition énergétique, il ne serait pas plus intéressant
d’avoir en Europe des mégafactories pour fabriquer sur place nos panneaux ?
Rodolphe Meyer / Le Réveilleur : Les scénarios de mix énergétique permettent d’apporter un éclairage sur les décisions à prendre mais ils ne sont pas gravés dans le marbre. Ils indiquent que si l’on a telle ou telle technologie qui fonctionne, si on fait tel ou tel choix, on aura telle ou telle trajectoire. Et plus on avancera, plus on pourra préciser au fur et à mesure cette trajectoire.
Quand on parle de transition énergétique, de transition écologique, on vise un objectif à très long terme, soit la durabilité. Or, face à l’urgence climatique, il faut commencer très rapidement à agir, tous les scénarios sont très clairs là-dessus. Il ne faut pas attendre la solution parfaite, absolument durable. La transition énergétique est un chantier incroyablement compliqué, avec tout à repenser. Si l’on active tous les leviers à fond, pour faire de l’éolien, de l’éolien en mer, du photovoltaïque, du nucléaire, en termes de déploiement, c’est extrêmement ambitieux. Il y a plein d’obstacles que l’on espère résoudre progressivement. C’est pour cela qu’il faut s’y mettre tout de suite, pour avoir le plus de technologies possibles très vite.
Stéphane Sarrade : Il va aussi falloir que l’on réaligne nos deux hémisphères cérébraux. Si l’on fait une introspection rapide et un peu honnête, on a quand même un hémisphère cérébral de consommateur (voiture, Internet...) et un hémisphère cérébral d'électeur préoccupé par les questions environnementales. L’application de ces scénarios nécessitera de réconcilier ces deux comportements.
Nous devons aussi faire preuve de beaucoup d'humilité sur la façon d’imaginer les usages de la population en 2050. Il est déjà clair que la manière dont on vit aujourd’hui ne sera pas le standard de vie en 2050. A titre personnel, je n'ai pas envie de vivre comme mes grands-parents il y a 50 ans. Se projeter en se disant que le bonheur pour les générations futures, ce sera qu’elles aient le même mode de vie que nous en 2050, c’est pour moi déjà faux. En 2100, ça sera encore plus faux. Ce sont les gens de 2050 qui seront les prescripteurs du choix de société et donc des systèmes énergétiques associés.