Pourriez-vous nous rappeler ce qu’est le Traité d’Interdiction Complète des Essais Nucléaires, ses enjeux, ses principes, sa finalité ?
Mélanie Rosselet : Ce traité, ouvert à la signature des Etats en septembre 1996,
interdit de manière générale et absolue tous les types d’essais nucléaires, quel que soit le milieu dans lequel ils pourraient être effectués (souterrain, sous-marin, atmosphérique, extra-atmosphérique) et quelle que soit l’énergie dégagée, ce qui signifie que même les essais de très faible énergie (les plus difficilement détectables) sont prohibés. Il s’adresse à tous les États, qu’ils soient dotés ou non de l’arme nucléaire et indépendamment de leur statut d’État doté au sens du
Traité de Non-Prolifération. Il n’est néanmoins pas encore entré en vigueur.
La France a été le premier Etat doté de l’arme nucléaire avec le Royaume-Uni à signer ce traité, le 24 septembre 1996, puis à le ratifier.
Le traité prévoit un important régime de vérification pour s’assurer que les Etats parties s’acquittent de leurs obligations. Ce dernier comprend notamment
un système de surveillance internationale, qui repose sur le déploiement d’un ensemble d’installations sur la planète permettant de détecter les essais nucléaires. La France a été le premier État doté de l’arme nucléaire à achever en 2020 l’installation et la certification des stations prévues par le TICE sur son territoire.
Le TICE permet de limiter le développement des armes nucléaires. Il est un élément essentiel du régime international de non-prolifération et la prochaine étape logique en matière de désarmement nucléaire.
Comment la France s’est-elle engagée lors des négociations puis de la signature de ce traité ?
Mélanie Rosselet : Lors des négociations internationales qui ont eu lieu entre 1994 et 1996, la France a adopté une approche maximaliste en promouvant, « l’option zéro » : c’est-à-dire l’interdiction de tous les types d’essais nucléaires, quelle que soit leur puissance (cela correspond donc à zéro dégagement d’énergie nucléaire) et quel que soit le milieu dans lequel ils seraient réalisés.
Après avoir conduit une ultime campagne d’essais nucléaires en 1995-1996, nécessaire pour assurer la pérennité de la dissuasion française en dépit de l’arrêt des essais, la France a signé le traité le 24 septembre 1996, dès l’ouverture à signature.
L’entrée en vigueur du TICE reste aujourd’hui un objectif prioritaire. La France poursuit une campagne active pour encourager les États à signer et ratifier le traité, notamment dans le cadre de la conférence de l’article XIV. Cette dernière se tient tous les deux ans entre les États ayant ratifié le traité afin de faciliter une entrée en vigueur.
La France : une action volontariste en matière de désarmement nucléaire
En complément de son engagement pour le TICE, la France conduit une action volontariste en matière de désarmement nucléaire. La France a diminué de moitié son arsenal nucléaire entre 1991 et 2008, conformément à sa doctrine de stricte suffisance. La France est le seul État ayant possédé une composante nucléaire sol-sol à l’avoir entièrement démantelée. En janvier 1996, le Président Chirac annonce également le démantèlement complet et irréversible de son Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP), faisant de la France, encore à ce jour, le seul État doté de l’arme nucléaire à avoir démantelé toutes ses installations d’essais nucléaires. La France annonce également
la fermeture définitive des installations de production de matière fissile destinée aux armes nucléaires. Ce faisant, elle complète l’arrêt de la production de plutonium décrété en 1992 par celle de l’uranium hautement enrichi. En gelant quantitativement les arsenaux nucléaires, ces mesures viennent compléter le TICE qui vise à les geler qualitativement.
Pourquoi le TICE n’est-il pas encore entré en vigueur ?
Mélanie Rosselet : Des résultats positifs et encourageants ont été enregistrés :
en septembre 2021, sur 196 États, 185 ont signé le TICE et 170 l’ont ratifié, c’est-à-dire qu’ils ont confirmé leur consentement à être liés par le traité lorsqu’il sera entré en vigueur.
Cependant, pour entrer en vigueur, ce traité requiert impérativement la ratification de 44 Etats de l’Annexe 2, c’est-à-dire tous les États qui en 1996 participaient à la Conférence du désarmement et possédaient des réacteurs nucléaires. En septembre 2021, ces États étaient au nombre de 36. Manquent toujours à l’appel : l’Inde, le Pakistan et la Corée du Nord qui n’ont pas signé le TICE ; ainsi que la Chine, les Etats-Unis, l’Egypte, l’Iran et Israël qui n’ont pas ratifié le TICE.
Si plusieurs États ont adopté des moratoires sur l’interdiction des essais nucléaires et que seule la République populaire démocratique de Corée (RPDC) a procédé à des essais nucléaires au 21e siècle, ces moratoires sont insuffisants : en l’absence d’entrée en vigueur du Traité, l’interdiction des essais nucléaires ne peut être considérée comme une norme de droit international.
En dépit de la non-entrée en vigueur du traité, le bilan de l’Organisation du TICE est positif. La Commission préparatoire de l’OTICE, qui met en œuvre, de manière anticipée, certaines dispositions du traité, et soutient l’action en faveur de la ratification et de l’entrée en vigueur du TICE, fonctionne de manière satisfaisante.
En 2021,
plus de 90% des installations (stations et laboratoires) du système de surveillance de l’OTICE sur 337 (321 stations et 16 laboratoires) prévues étaient certifiées. Le système permet une couverture permanente et en temps réel par des moyens de détection géophysique (sismique, hydroacoustique, infrasonore) ainsi que de prélèvement et d’analyse de radionucléides1.
L’importance prise par les applications civiles du système de surveillance constitue un autre point positif du bilan de l’OTICE.
Dans le cadre du TICE, quel est le rôle et quelles sont les missions du CEA ?
Remo Chiappini : Le CEA a été désigné en 2002 Centre National de Données et opérateur des stations françaises par le Ministère des Affaires Étrangères.
En tant qu’opérateur de stations, le CEA installe et exploite les 16 stations de mesure situées sur le territoire français. Il opère également 8 stations installées en Mongolie, en Bolivie, à Madagascar et en Côte d’Ivoire. Pour ce faire, le CEA met en place des moyens de surveillance du fonctionnement des stations, des collaborations locales pour intervenir en cas d’incident, et optimise les moyens de maintien en condition opérationnelle. Le CEA héberge également un des 16 laboratoires d’analyse de radionucléides prévus dans le traité. Destiné à l’analyse de référence des échantillons produits par les stations, il se place au meilleur niveau mondial et il est certifié par l’OTICE.
Surveillance du TICE : contribution de la France et de ses partenaires :
Le CEA intervient également en
appui technique à la représentation diplomatique française. A ce titre, il participe aux réunions d’experts qui visent à traiter les questions techniques (réunions périodiques à Vienne) ou faire progresser les connaissances (conférences scientifiques ou ateliers dédiés), et prend part aux formations organisées par l’OTICE lorsqu’il est concerné.
Enfin, dans le cadre des actions destinées à favoriser l’entrée en vigueur du traité, le CEA
développe des moyens de mesure et de traitement des données adaptés au traité. Ainsi, le CEA a acquis un
leadership technologique sur la mesure des infrasons (capteurs et systèmes d’enregistrement), sur les moyens automatiques de mesure du Xénon et plus récemment sur les logiciels d’exploitation géophysique.
Les moyens de mesure, industrialisés par des fabricants français, équipent plusieurs stations du Système de Surveillance International et font l’objet de développements continus pour maintenir leurs performances au meilleur niveau. La nouvelle génération de SPALAX, système de détection mesurant tous les isotopes du Xénon radioactif produit par une explosion et permettant de vérifier le caractère nucléaire de l’explosion, d’une sensibilité significativement accrue, vient ainsi d’être qualifiée en juillet 2021 pour intégrer le réseau de l’OTICE.
Quels sont les moyens du CEA pour la détection et la localisation d’un essai nucléaire ?
Remo Chiappini : Le CEA accède en temps réel, de par son statut de Centre National de Données français, aux mesures effectuées par l’ensemble des stations certifiées du Système de Surveillance International du TICE et aux bulletins d’analyse produits par le Centre International de Données de Vienne.
Salle de surveillance des essais nucléaires du CEA où sont recueillies les données des stations de l’OTICE. © L. Godart/CEA
Les données exploitées sont de quatre natures complémentaires. Les trois premières permettent
la détection rapide des explosions. Il s’agit de
stations sismiques, qui mesurent la propagation des ondes à l’intérieur du globe terrestre, d’hydrophones, qui mesurent les ondes se propageant dans les océans et enfin de
microbaromètres, qui mesurent les variations de pression de l’atmosphère.
Ces trois technologies permettent la surveillance des essais souterrains, sous-marins ou aériens. Ce réseau est complété par des stations effectuant l’analyse des radionucléides contenus dans l’air (mesure du gaz xénon et d’aérosols) pour identifier des traces signant le caractère nucléaire de l’explosion.
Le CEA a mis en place
des moyens propres d’analyse de l’ensemble de ces données. Certains outils permettent la
détection automatique d’événements pour générer une alerte immédiate auprès d’experts qui se chargeront de la confirmer et de la caractériser. Cette opération s’appuie sur des logiciels d’analyse issus de la R&D menée chaque jour par le CEA en vue d’améliorer la réponse opérationnelle : détecter des événements plus petits, améliorer la précision de la localisation, ou encore réduire le délai d’interprétation.
1 Les radionucléides mesurés sont des particules ou des gaz rares qui, lorsqu’ils sont présents dans l’atmosphère, témoignent de la réalisation d’un essai nucléaire.
Exposition : les 25 ans du Traité d'Interdiction Complète des Essais nucléaires
À l’occasion du 25e anniversaire de l’ouverture à la signature du Traité d’Interdiction Complète des Essais nucléaires, le 24 septembre 1996, le CEA, en partenariat avec le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et le Ministère des Armées, propose une exposition retraçant l’engagement de la France en faveur du traité.