Le développement de la chimie verte passe en partie par l’exploitation des capacités métaboliques des micro-organismes. Les enzymes catalysent, les organismes photosynthétiques produisent de la biomasse, les bactéries fermentent… les scientifiques cherchent à connaître et manipuler les voies métaboliques de ces usines naturelles pour inspirer des procédés industriels durables.
C’est ce que font par exemple les chercheurs du Genoscope, à l’Institut François-Jacob. « Nous avons travaillé avec la bactérie bien connue Escherichia coli pour transformer l’une des voies centrales du métabolisme du carbone, explique Madeleine Bouzon, chercheuse à l’Institut de biologie François-Jacob. Cette voie métabolique naturelle transfère des atomes de carbone à partir d’acides aminés vers plusieurs voies de biosynthèse de composés indispensables pour la bactérie. Dans le cas d’un organisme comme Escherichia coli, ces atomes de carbone proviennent des sucres donnés comme nutriments. Nous avons incité cette bactérie à utiliser une autre voie, qui fixe le CO2 et l’assimile dans ces voies de biosynthèse. » En fait, la bactérie n’a pas eu le choix. Les scientifiques ont supprimé de façon artificielle les enzymes en charge des réactions de transfert des atomes de carbone en éliminant les gènes qui les codent. « Au début, nous fournissions aux bactéries dans leur milieu de culture les composés qu’elles n’étaient plus capables de fabriquer, raconte la biologiste. Puis nous les avons cultivées dans des conditions de plus en plus contraignantes. Petit à petit, au gré d’erreurs spontanées, des mutations bénéfiques ont été sélectionnées permettant à Escherichia coli de s’adapter à la pression de sélection imposée jusqu’à ce qu’elle se débrouille toute seule. »
Ainsi, il a fallu 720 générations (environ 4 mois), ce qui n’est pas énorme, avec un milieu de culture privé progressivement des compléments nécessaires, pour que la bactérie découvre une nouvelle voie métabolique d’assimilation du CO2. Cette évolution dirigée in vivo a été possible grâce aux automates de cultures continues du Genoscope, dotés d’un système de contrôle de la densité bactérienne dans les cultures par les flux de milieux nutritifs. « Nous avons interrompu une voie métabolique, mais laissé libre choix à la bactérie pour en trouver une autre. Maintenant, nous souhaitons lui indiquer quelle direction prendre pour l’acclimater à la production de biomasse à partir d’acide formique », conclut Madeleine Bouzon.