Descente dans l'élémentaire
Si l’échelle des atomes et de leur nuage électronique est le nanomètre (10-9m), celle des noyaux atomiques et des nucléons est le femtomètre (10-15m). La taille des particules aujourd’hui considérées comme élémentaires est de l’ordre de 10-18 mètres.
Le noyau est un objet extrêmement dense, complexe et petit. Il est comme une poupée russe qui contient des poupées gigognes de plus en plus petites. On a longtemps pensé que les protons et les neutrons étaient des particules élémentaires, c’est-à-dire qu’elles n’avaient aucune structure interne. Cependant, dans les années 1950 et 60, les observations faites avec des accélérateurs de particules, qui augmentaient régulièrement de taille et de puissance, montrèrent que de très nombreuses particules apparaissaient à l’issue des collisions.
Cette diversité a été interprétée en supposant qu’elles étaient composées de constituants encore plus petits, baptisés
quarks. Les nucléons contiennent des quarks up et down qui s’assemblent par groupe de 3 grâce à l’interaction forte. Les quarks sont des fermions (comme les électrons) ; on en connaît actuellement six, répartis en trois générations. Ils interagissent attractivement en échangeant des gluons qui sont des bosons. En plus d’une charge électrique égale à -1/3e ou 2/3e, ils portent une autre charge appelée couleur : bleu, vert
ou rouge. Il ne s’agit pas de véritables couleurs mais d’un code obéissant à une logique ternaire ressemblant à celle de l’interaction forte.
En physique nucléaire, tout ou presque reste à découvrir.
Stabilité des noyaux atomiques
La vallée de la stabilité
Les noyaux atomiques sont classés sous la
forme d’une carte qui décrit une vallée de
stabilité dont le fond est peuplé par les noyaux stables. L’évolution des noyaux instables, des hauteurs de la vallée vers le fond, illustre les différents types de radioactivité.
La décroissance radioactive
L’activité d’un échantillon radioactif (qui s’exprime en becquerels) diminue avec le temps du fait de la désintégration progressive des noyaux instables qu’il contient. Pour chaque isotope radioactif, et pour chacun des processus de désintégration qu’il peut connaître, on définit le temps de demi-vie, ou période radioactive, comme étant la durée au bout de laquelle la moitié des atomes radioactifs initialement présents a spontanément réagi. Selon les noyaux radioactifs concernés, cette période est très variable : cela peut aller de quelques millisecondes à plusieurs milliards d’années !
Multidétecteur de particules chargées Indra, dédié à l’étude de la collision d’ions lourds. © P.Stroppa/CEA
Au Cern, l’expérience Alice est dédiée à l’étude de la matière dans ses états extrêmes de température et de densité. © P.Stroppa/CEA
Composés de Z protons et de N neutrons, les noyaux atomiques doivent leur cohésion à l’interaction nucléaire forte. Elle se manifeste par l’échange de mésons π entre nucléons, comme l’avait imaginé Hideki Yukawa dès 1935 (1er physicien japonais à recevoir, grâce à cette prédiction, le prix Nobel de physique en 1949). Plus tard, on comprendra que les mésons π sont constitués d’un quark et d’un antiquark de la même famille.
Neutrons et protons se répartissent l’énergie du noyau et se trouvent animés de mouvements très rapides.
L’assemblage de nucléons peut être stable (on connaît 256 noyaux stables pour 80 éléments) ou instable (près de 3 000 noyaux). On définit, pour chacun de ces noyaux instables, un temps de demi-vie, ou période radioactive T, au bout duquel la moitié des noyaux s’est désintégrée. Les noyaux instables cherchent à revenir à un état stable, via une chaîne de désintégrations. Ainsi, le césium (période 1,2 s) devient néodyme stable en se changeant en baryum (période 14,5 s), lanthane (période 14,2 min), cérium (période 33 h) et praséodyme (période 13,5 j).
La physique nucléaire
La physique nucléaire est l’étude du noyau atomique et des interactions dont il est le siège.
C’est l’étude du noyau en tant que collection de nucléons qui bougent et s’attirent, celle des mécanismes intimes de leur attraction et de l’influence des quarks sur leurs propriétés et leurs comportements. Pour cela, on sonde les noyaux avec un véritable micro-scalpel adapté à leurs dimensions. On utilise un faisceau de particules accélérées qui permet de regarder quelle est la proportion des particules déviées ou absorbées. Il permet aussi de voir comment réagissent les noyaux : éjection de nucléons, production d’autres particules, etc.
Différentes modélisations des noyaux atomiques se sont succédées et complexifiées au cours des dernières décennies afin de mieux expliquer les observations de plus en plus variées et précises que les avancées techniques ont permis. Les modèles, étudiés notamment grâce à des simulations faites sur ordinateurs, ont évolué. Ils passent à des structures complexes où les nucléons forment des agrégats stables au sein du noyau ou, dans d’autres cas, constituent un halo diffus entourant un centre plus dense. C’est toute une nouvelle physique nucléaire qu’il faut réinventer.
Synthétiser et étudier de nouveaux noyaux
Depuis la découverte de la radioactivité artificielle en 1933 par Frédéric Joliot et Irène Joliot-Curie, de nombreux noyaux atomiques ont été synthétisés. Si les centres de Doubna (en Russie), de Darmstatd (en Allemagne) ou de Berkeley (aux USA) synthétisent des noyaux de numéro atomique élevé, le Grand accélérateur national d’ions lourds (Ganil) du CEA/CNRS installé à Caen permet l’étude de la stabilité de ceux qui y sont produits, de façon à mieux comprendre comment l’interaction nucléaire forte maintient les nucléons entre eux.
Deux axes de recherche sont développés :
- l’étude des noyaux stables dans leurs états plus ou moins excités
- la production et l’étude de
noyaux exotiques.
Le Ganil a commencé à fonctionner en 1983 et son extension, Spiral2, démarrée en février 2012, sera bientôt opérationnelle.
SPIRAL (Système de productions d’ions radioactifs en ligne)
SPIRAL est un équipement, implanté depuis 2001 au Ganil, permettant de produire et d’accélérer des noyaux exotiques. Ceux-ci se caractérisent par un fort déséquilibre entre leur nombre de protons et de neutrons et un temps d’existence extrêmement bref avant de se désintégrer. Leur étude est essentielle dans de nombreux domaines de la physique nucléaire, mais aussi de l’astrophysique, notamment pour comprendre la formation des noyaux des atomes au sein des étoiles et des supernovae. Si les physiciens savent synthétiser des noyaux exotiques en laboratoire, l’installation Spiral leur permet d’en produire en grande quantité, de les accélérer, d’observer leurs collisions avec d’autres noyaux, et ainsi de connaître leur structure.
Pour aller plus loin, l’installation
Spiral2 permettra de produire des noyaux exotiques à un taux mille fois plus élevé que ce qui se fait jusqu’à présent.
L’objectif sera toujours de produire ces noyaux de synthèse pour découvrir leur nature et comprendre
les lois qui gouvernent leur comportement.
Mais à la différence du premier accélérateur, il permettra de produire et d’étudier des noyaux plus lourds, voire des noyaux « super-lourds » jamais observés à ce jour.
Quadrupôles de l’accélérateur linéaire Spiral2
© P.Stroppa/CEA
La matière nucléaire
L’interaction nucléaire forte permet de former des noyaux atomiques dont le nombre de masse (nombre de nucléons) ne dépasse pas 300. Mais il est possible de contraindre les nucléons à former temporairement une assemblée plus nombreuse en accélérant des ions lourds (comme des ions de plomb) avec des énergies colossales (de plusieurs TeV).
Les noyaux atomiques s’entrechoquent de face. Leurs nucléons se mélangent pendant la durée du choc et les conditions qui règnent au sein du plasma de quarks et de gluons ressemblent aux conditions de température et de pression qui étaient celles de l’Univers à ses premiers instants (scénario du Big Bang). Le plasma ainsi formé n’est pas stable et la plus grande partie de l’énergie apportée pour le constituer se transforme en un très grand nombre de particules de toutes sortes qui sont détectées instantanément. Des collisions proton-plomb permettent de distinguer ce qui se passe dans un plasma froid par rapport à un plasma chaud (plomb-plomb). L’intérêt de ces collisions est de tester les mécanismes de nucléosynthèse primordiale en confrontant les mesures actuelles avec le résultat de ce qui a eu lieu il y a 13,7 milliards d’années. C’est ce qui a été réalisé au LHC et sera poursuivi après sa remise en marche prévue en 2015.
Le boson de Higgs
Au
Large Hadron Collider (LHC) ce sont parfois des protons, noyaux d’hydrogène, qui circulent en paquets très denses, 100 milliards de protons par paquet ! Le collisionneur est un anneau de 27 km de circonférence, situé à 100 m sous terre à la frontière franco-suisse. Ces paquets de protons font 11 000 tours par seconde et se rencontrent en quatre points de collisions toutes les 25 ns. L’énergie disponible alors, de 7 à 8 TeV, permet de remonter aux conditions de température et de pression régnant dans l’Univers juste après le Big Bang. Sur les 6 millions de milliards de collisions proton-proton produites dans le LHC de 2010 à 2012, les expériences Atlas et CMS ont chacune enregistré environ 5 milliards de collisions intéressantes. Grâce à cette accumulation de données, des événements isolés s’ajoutent les uns aux autres et le signal émerge du bruit de fond. En juillet 2012, 400 collisions environ ont permis de mettre en évidence des événements
signalant la particule qui ressemble au boson de Higgs. Celui-ci, prédit dès 1964 par les théoriciens François Englert, Robert Brout et Peter Higgs, leur ont valu de recevoir le prix Nobel de physique 2013.