Bien que l’énergie soit une seule et même grandeur physique, ses diverses formes présentent des caractéristiques très différentes. Dans la pratique, le choix de tel ou tel type d’énergie dépendra donc du but poursuivi. Pour un objectif donné, par exemple produire de l’énergie électrique, il est essentiel, selon les circonstances, de peser le pour et le contre de chaque solution envisageable, et les critères de choix sont multiples.
Énergies diluées ou concentrées
De même qu’un billet de 50 euros permet d’acheter la même quantité de marchandises que 50 pièces de 1 euro, certaines formes d’énergie sont concentrées sous un volume beaucoup plus faible que d’autres. On peut de ce point de vue distinguer trois catégories, qui correspondent aux
trois types de forces identifiées précédemment.
L’énergie de gravitation
L’énergie de gravitation n’est appréciable que si des masses considérables sont en jeu. On a vu que 1 kg d’eau tombant de 100 m ne fournit que 981 J (voir chapitre “Les diverses formes d'énergie”, paragraphe “Énergie de gravitation”) et que 1 kWh vaut 3 600 000 J (voir chapitre “Qu'est-ce que l'Énergie ?”, paragraphe “La puissance”). Pour libérer seulement 1 kWh, il faut faire chuter (3 600 000 J/981 J/kg) soit 3,67 t d’eau de 100 m. Les centrales hydroélectriques sont donc peu efficaces de ce point de vue. Les énergies mécaniques apparaissant dans notre vie courante ont aussi des ordres de grandeur très faibles. L’énergie cinétique d’une voiture pesant 1 tonne roulant à 100 km/h n’est que de 0,1 kWh.
La nature ne nous permet de convertir qu’une fraction de chaleur en une autre forme d’énergie.
Énergies calorifique, électrique, radiative et chimique
Dans la catégorie intermédiaire
figurent les énergies calorifique, électrique, radiative et chimique, qui, pour les usages courants, se mesurent en nombres de l’ordre du kWh par kg de matière. Il faut fournir 0,1 kWh pour faire fondre 1 kg de glace, 0,7 kWh pour vaporiser 1 kg d’eau à 100 °C. Les appareils électroménagers consomment une puissance électrique comprise entre 0,1 et 5 kW. La combustion de 1 kg de pétrole ou de gaz fournit environ 12 kWh. Un homme élabore de l’énergie biochimique, provenant des aliments digérés et de l’air respiré. Il l’utilise pour maintenir sa température à 37 °C et exercer ses activités ; la puissance correspondante est de 100 W au repos, de 500 W en pleine activité physique.
On peut prendre conscience de l’écart qui sépare ces deux premières catégories d’énergie en notant que, si l’énergie mécanique d’un œuf tombant du sommet de la tour Eiffel était entièrement transformée en chaleur et utilisée pour échauffer l’œuf, sa température n’augmenterait que de 0,7 °C.
La catégorie intermédiaire des énergies diluées ou concentrées regroupe les énergies calorifique, électrique, radiative et chimique. Exemple : la combustion de pétrole ou de gaz. © PhotoDisc
L’énergie nucléaire est l’une des formes d’énergie les plus concentrées. © PhotoDisc
Assemblage combustible. © Framatome
Le calcul de l'énergie totale
Dans le Soleil, 1 kg d’hydrogène produit 180 millions de kWh. Pour des énergies aussi considérables, on vérifie la célèbre relation d’Einstein E = mc
2, qui exprime que l’énergie totale d’un corps est proportionnelle à sa masse, nouvelle propriété d’équivalence ; mais le coefficient est énorme, puisque la vitesse c de la lumière vaut 300 000 km/s. De la sorte, une masse de seulement 1 mg équivaut à 25 000 kWh ; dans une centrale nucléaire, la transformation de 1 kg d’uranium naturel en d’autres éléments diminue l’énergie nucléaire du combustible de 100 000 kWh, et donc sa masse de 4 mg.
Étude des échanges thermiques par simulation.
© CEA / Greth
La batterie : un mode de stockage d’énergie électrique sous forme d’énergie chimique.
© Yuvanoe/CEA
L’électricité se transforme en quasi-totalité en n’importe quel type d’énergie et se transporte à un coût relativement faible. © PhotoDisc
Les énergies renouvelables sont celles qui nous parviennent directement ou indirectement, du Soleil, du vent…
L’énergie nucléaire
L’énergie nucléaire est de loin une forme d’énergie beaucoup plus concentrée, puisque 1 kg d’uranium naturel fournit une quantité de chaleur de 100 000 kWh dans une
centrale électrique courante, alors que 1 kg de charbon fournit en brûlant 8 kWh.
C’est pourquoi on ne manipule que d’assez faibles masses de combustible nucléaire pour la production d’électricité : une centrale électronucléaire d’une puissance de 1 000 MW électriques (109 W) consomme 27 tonnes d’uranium enrichi par an, le quart de son chargement, alors qu’une centrale thermique de même puissance consomme 1 500 000 tonnes de pétrole par an. En fait, on ne sait extraire industriellement qu’une assez faible part de l’énergie nucléaire emmagasinée dans la matière. Dans le Soleil, 1 kg d’hydrogène produit, par réactions nucléaires le transformant en hélium, 180 millions de kWh.
La dégradation
L’expérience montre qu’un système physique livré à lui-même tend à devenir spontanément de plus en plus désordonné. Parmi les diverses formes de l’énergie,
la chaleur correspond à des mouvements désordonnés des molécules. Au contraire, les autres formes d’énergie, que l’on peut qualifier de “nobles”, sont ordonnées à l’échelle microscopique. Elles ont donc tendance à
se changer en chaleur. Ce phénomène est appelé la
dissipation, et l’on dit que
la chaleur est une forme dégradée de l’énergie.
Il est facile de produire de la chaleur à partir d’une quantité équivalente d’énergie noble, par exemple dans des fours et chaudières, électriques ou à combustion, ou des capteurs solaires pour chauffe-eau. Mais les transformations inverses sont impossibles. Si l’on dispose d’une certaine quantité de chaleur, on ne peut pas la convertir intégralement en énergie mécanique, électrique ou chimique à l’aide d’un appareil qui fonctionnerait en cycle fermé, en revenant périodiquement à son état initial. Cette “interdiction” constitue l’une des grandes lois de la physique, confirmée par d’innombrables expériences : la nature ne nous autorise à convertir en une autre forme d’énergie qu’une fraction de la chaleur disponible, et elle impose à cette fraction de ne pas dépasser une certaine valeur maximale. C’est ce qui limite le rendement des turbines à vapeur dans les centrales électriques, des moteurs de voiture et d’avion, et de tous les engins délivrant de l’énergie mécanique à partir de l’énergie calorifique d’un gaz chaud.
La chaleur apparaît souvent comme une “perte” lorsqu’on manie les autres formes d’énergie (sauf, bien entendu, si l’on a en vue le chauffage domestique ou industriel). Afin d’exploiter l’énergie nucléaire ou l’énergie chimique dans une centrale électrique ou une automobile, on commence par produire de la chaleur par réaction nucléaire ou chimique ; seule une partie de cette chaleur peut ensuite être reconvertie en énergie électrique ou mécanique. La situation la plus favorable est celle de la conversion directe d’énergie mécanique en énergie électrique, et vice versa. Mais même dans ce cas, il est difficile en pratique d’éviter de détourner une part de ces énergies nobles vers de la chaleur. Si l’arbre d’un moteur entraîne celui d’un alternateur, le premier transforme de l’énergie électrique en énergie mécanique, et c’est l’alternateur qui reconvertit celle-ci en énergie électrique. Mais
on récupère au total moins d’énergie électrique qu’on n’en a fourni ; la différence consiste en un dégagement de chaleur par effet joule, dans les bobinages ou par frottement, dans les paliers, impossible à éliminer totalement.
Cette équivalence entre les énergies est comparable à celle qui existe entre des monnaies convertibles, 1 dollar valant par exemple 0,98 euro. La dissipation en chaleur joue alors le rôle des frais bancaires qui nous empêchent de recouvrer le montant initial si nous changeons des euros en dollars, puis ceux-ci à nouveau en euros. La valeur comme l’énergie sont bien conservées au total, mais pas pour nous.
Le stockage
L’énergie électrique peut être emmagasinée dans des accumulateurs, sous forme d’énergie chimique. Mais la décharge d’un accumulateur fournit moins d’énergie électrique que sa charge, car les réactions électrochimiques s’accompagnent d’une assez forte dégradation en chaleur. De plus, les accumulateurs sont coûteux et lourds, puisqu’ils n’emmagasinent que 0,1 kWh par kg, ce qui est, avec le prix, la principale entrave au développement de la voiture électrique.
Nos besoins en puissance électrique varient avec l’heure, en croissant par exemple rapidement le soir ; et les centrales nucléaires ont du mal à suivre ces changements. Étant donné la faiblesse des pertes de chaleur dans les échanges électromécaniques, on a imaginé d’utiliser les barrages non seulement comme sources d’énergie hydroélectrique, mais aussi comme réservoirs d’énergie. En heures creuses, l’eau est pompée du bas du barrage vers la retenue par emploi d’énergie électronucléaire, et en heures de pointe, cette eau redescend, actionne les turbines de l’usine et l’on récupère de l’électricité. Puisque cette forme de stockage passe par de l’énergie mécanique, elle nécessite de brasser de fortes masses d’eau, plusieurs tonnes par kWh emmagasiné.
Les carburants, chimiques ou nucléaires, emmagasinent efficacement de l’énergie. Mais nous ne savons, en pareil cas, récupérer celle-ci que sous forme de chaleur.
Le transport de l'énergie
La relative facilité de stockage et aussi de transport sur de grandes distances du charbon, du pétrole et du gaz a été l’un des facteurs primordiaux du développement de l’industrie depuis deux siècles. L’essor de l’automobile repose aussi sur la possibilité d’emporter avec soi assez de carburant pour parcourir plusieurs centaines de kilomètres. Mais
l’électricité est la seule forme d’énergie susceptible d’être à la fois transformée en quasi-totalité en n’importe laquelle des autres, et transportée au loin en grande quantité à un coût relativement faible. Les pertes de chaleur dans les lignes à haute tension et les transformateurs atteignent cependant 8%.
Les réserves
On distingue les énergies fossiles des énergies
renouvelables. Les premières reposent sur l’exploitation de minéraux et combustibles formés durant l’histoire de la Terre et n’existant qu’en quantités limitées. En tenant compte de l’évolution des consommations, et de l’espoir de découvrir de nouveaux gisements, on peut estimer les réserves mondiales à quelques dizaines d’années pour le pétrole, à une centaine d’années pour le gaz ou l’uranium, à quelques siècles pour le charbon. Le développement de techniques comme celles des surgénérateurs suffirait cependant à multiplier nos réserves en énergie nucléaire par un facteur supérieur à 100.
Les énergies renouvelables
Les énergies renouvelables sont celles qui nous parviennent directement ou indirectement du Soleil, qui nous envoie en permanence son rayonnement. Il s’agit des énergies solaire, hydraulique, éolienne (celle du vent), mais aussi de l’énergie chimique qui s’accumule dans les végétaux utilisables comme combustibles (bois, déchets, alcool). La puissance totale que l’on peut tirer de ces énergies renouvelables est cependant limitée ; par exemple, il ne faudrait pas brûler les forêts à un rythme plus rapide que celui de leur croissance. Bien qu’elles constituent un appoint essentiel, les énergies renouvelables ne sauraient se substituer qu’en faible proportion aux énergies fossiles.
Les nuisances
La manipulation de toutes les formes d’énergie produit sur notre environnement des effets plus ou moins néfastes, qu’il importe de savoir apprécier cas par cas. Certains résidus de combustion du charbon, du pétrole, de l’essence, ou même du gaz s’il brûle mal, sont nocifs pour l’homme. Le principal gaz dégagé, le dioxyde de carbone, s’accumule dans l’atmosphère, ce qui risque d’influer sur notre climat, en accroissant l’effet de serre. Les réactions nucléaires génèrent des déchets radioactifs, qu’il est essentiel de traiter ou de réduire surtout lorsqu’ils ont une longue durée de vie. Les centrales hydroélectriques noient des vallées. Les éoliennes sont bruyantes, et n’assurent pas une production continue ; de plus, elles occupent beaucoup d’espace pour d’assez faibles puissances. Les photopiles solaires ont le même défaut et sont très chères, de sorte que la transformation d’énergie solaire en électricité n’est adaptée qu’à l’alimentation d’habitations isolées ou au fonctionnement de petits appareils portables comme des calculettes ; de plus, la fabrication des photopiles est très coûteuse en énergie.
La pollution thermique
La dégradation de l’énergie entraîne une conséquence commune à toutes les énergies non renouvelables, la pollution thermique. La majeure partie des énergies fossiles que nous utilisons se change en définitive en chaleur. Nous avons vu, par exemple, que le bilan global du fonctionnement d’une voiture consiste en une transformation de l’énergie chimique de l’essence en chaleur cédée à l’environnement. Même si la pollution thermique est trop faible pour influencer le climat, elle peut avoir des effets locaux : une centrale thermique ou nucléaire refroidie par l’eau d’une rivière augmente de façon appréciable la température de cette eau en aval et peut ainsi modifier son équilibre écologique. D’importantes économies pourraient être réalisées en récupérant cette chaleur perdue. La moitié de l’énergie que nous utilisons est en effet destinée au chauffage domestique ou industriel, réalisé à l’aide de charbon, de gaz, de fioul ou d’électricité. Ce type de consommations pourrait être réduit par un meilleur emploi de la chaleur issue des centrales. En fait, la consommation moyenne d’énergie par habitant reflète non seulement un niveau de vie, mais aussi un niveau de gaspillage. Cet exemple illustre un point essentiel : la multiplicité des sources d’énergie répond à la diversité des usages, et une approche globale des problèmes énergétiques est indispensable.