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Catherine Pépin - Supraconductivité : une perfection fluctuant dans le vide quantique ?

La supraconductivité à « haute température critique » suscite un intérêt d’autant plus massif des physiciens qu’ils ne parviennent toujours pas à en décrire les mécanismes. 
Dans le cadre d’un contrat ERC, Catherine Pépin propose une piste jamais explorée en trente ans, reposant sur le vide quantique ou la perfection à l’état naturel.

Vous vous intéressez à la matière condensée, particulièrement à la supraconductivité dite à « haute température critique ». De quoi s’agit-il ? 

La supraconductivité  est un phénomène quantique caractérisé, à des températures très basses, par l’absence de résistance électrique et par l’expulsion du champ magnétique dans des métaux, dits, supraconducteurs. 

Elle fut découverte en 1911 par le physicien Néerlandais Kamerlingh Onnes lorsqu’il a observé que la résistance électrique du mercure devenait nulle en-dessous d’une température dite « critique » (Tc), à 4,2K (- 268,95°C). La supraconductivité qui m’intéresse, dite non conventionnelle, concerne des matériaux  à la Tc plus « haute », supraconduisant à 160 K (- 113°C) : les cuprates, découverts en 1987. 


Ce phénomène quantique est fascinant en ce qu’il est parfait – ce qui est surprenant en physique classique et pour tout physicien. 

Depuis, la supraconductivité  à haute température a déjà fait l’objet de plus de 600 000 publications scientifiques…
La supraconductivité  conventionnelle fut l’une des plus grandes découvertes du XXe siècle ! Ce phénomène quantique est fascinant en ce qu’il est parfait – ce qui est surprenant en physique classique et pour tout physicien. Cette perfection est visible car elle engendre une circulation permanente du courant dans un matériau.

Depuis 1987, nous n’avons toujours pas réussi à comprendre le mécanisme qui régit l’appariement des électrons dans les supraconducteurs à haute température critique. Nous sommes bloqués, alors que seuls 80K nous séparent d’une révolution ! En effet, l’un des graal de la communauté scientifique est d’atteindre ce phénomène à température ambiante (213,15K = -60°C). 


Que savons-nous de ce mécanisme d’appariement des électrons ?

La théorie de la supraconductivité conventionnelle a été comprise en 1957 par trois physiciens américains, Cooper, Barden et Scrieffer (BCS). Dans leur théorie, les électrons s’apparient deux à deux (les fameuses « paires de Cooper ») formant une sorte de danse de l’ancien temps, de type « quadrige ».  Ce faisant, le système acquiert une synchronicité globale qui est la cause du phénomène de supraconduction. 
 
En physique quantique, une particule est également une onde ; et, à la position de la particule correspond la phase de l’onde. Dans le cas des paires de Cooper, les électrons accrochent leur phase ; toutes les phases sont bloquées ensemble, créant une onde parfaitement cohérente, à laquelle rien ne résiste : d’où un courant circulant parfaitement et indéfiniment.


Comment apparaissent les paires de Cooper ?

Le mécanisme qui provoque l’appariement des électrons dans la théorie BCS est une force toute faible liée aux vibrations du réseau cristallin, un peu comme les vibrations d’un pont. Cette force émergente (par opposition aux quatre forces fondamentales de la matière qui régissent les interactions entre particules élémentaires) est très faible, telle la chute d’un cheveu sur un système produisant un phénomène extraordinaire. Imaginons en effet la simple vibration d’une corde de guitare qui entrainerait cet appariement des électrons d’un matériau devenant ainsi supraconducteur.


Aucune théorie ne parvient actuellement à décrire le phénomène de façon satisfaisante. Les cuprates sont des matériaux quantiques parmi les plus complexes. 
VidéoMini-conférence : supraconducteurs à haute température - C'est chaud !


Et que se passe-t-il à « haute température critique » ? 

Aucune théorie ne parvient actuellement à décrire le phénomène de façon satisfaisante. Les cuprates sont des matériaux quantiques parmi les plus complexes. Constitués de différents plans, comme un sandwich, ils deviennent isolants par dopage sous l’effet de corrélations extrêmement fortes entre les électrons. De plus, ils ont une grosse phase magnétique alors que la supraconductivité est précisément l’expulsion du champ magnétique par lequel des objets peuvent léviter (effet de Messmer).


Spinoza disait que la Réalité est la Perfection. Et le vide quantique, où les phénomènes sont gouvernés par des symétries mathématiques, semble confirmer cette intuition géniale.


Vous proposez au sein de votre projet ERC une théorie jamais explorée en trente ans…

Il y a différentes théories. L’une d’elle postule que la chimie et la corrélation électronique dans les cuprates sont telles que l’électron perd son intégrité : on ne le voit pas, et il se décompose en deux composantes, l’une portant la charge et l’autre le spin.

Je propose que, quelle que soit sa complexité, le matériau est dans un vide quantique : il est  dominé par une symétrie. J’introduis une symétrie, suivant le groupe mathématique SU(2), selon laquelle l’électron fluctue entre deux états : un état supraconducteur, avec une phase cohérente, et un état où sa charge électrique est modulée dans l’espace. Et c’est cette symétrie émergente (fluctuation) qui contrôle la partie mystérieuse de la supraconductivité. 

Que des systèmes aussi complexes que les cuprates puissent être gouvernés par une symétrie fondamentale prouverait alors le rôle prépondérant des symétries dans la nature. Spinoza disait que la Réalité est la Perfection. Et le vide quantique, où les phénomènes sont gouvernés par des symétries mathématiques, semble confirmer cette intuition géniale.


Comment l’observer ?

L’avantage d’avoir une symétrie c’est qu’il y a des modes collectifs associés; et leurs propriétés sont des signatures de la symétrie. Au sein de mon ERC, je cherche à observer les modes collectifs incarnant cette vibration fluctuant entre deux états pour démontrer qu’une symétrie peut relier ces deux états. Et c’est passionnant car cela reste accessible à notre échelle. Je monte actuellement deux types d’expérience, avec des collègues d’autres instituts du CEA. Il s’agit d’utiliser la spectroscopie électronique ou Raman, pour observer ces modes collectifs. De même nous recourons à la mesoscopie pour observer des effets de surface induits par ces fluctuations, des défauts topologiques créés par les pseudo spin des électrons en raison de l’effet fluctuant que je postule ; nous développons actuellement un petit prototype pour vérifier cette hypothèse.


Que diriez-vous aux chercheurs tentés par l’aventure ERC ?

Je retiens de cette aventure qu’il faut conceptualiser nos recherches un maximum. Il faut s’exprimer simplement et avec passion. Il s’agit avant tout de donner envie aux membres du jury de conduire cette recherche comme s’il s’agissait de leur propre projet !


Catherine Pépin, physicienne théoricienne à l’Institut de physique théorique (IPHT) du CEA.
1996 : Thèse à Grenoble
1997 : Post-doc au MIT et à Oxford
2001 : Entrée à l'Institut de physique théorique du CEA
2016 : Bourse ERC Advanced


Notions clés

Corrélation électronique Interaction des électrons dans un système quantique par laquelle le comportement d’un électron (attaché à son atome, ou sautant de l’un à l’autre) est influencé par la présence des électrons des atomes voisins (places prises) : les électrons sont fortement corrélés car, au lieu de conduire, ils restent localisés sur leur atome ce qui induit un état isolant dit « de Mott ».

Symétrie Propriété selon laquelle un système physique reste invariant sous l’action d’une transformation.

Vide quantique  Etat du vide au sein duquel de nombreux effets quantiques apparaissent, alors que le vide « classique » est un état isolé, non perturbé par une force extérieure.





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Iramis
Centre : Paris-Saclay / Saclay
Expertise : Supraconductivité à haute température critique