Interview | Recherche fondamentale | Caractérisation
Gaël De Paëpe - Caractérisation haute résolution de la matière en RMN-PDN
La caractérisation à l’échelle atomique de la matière repose notamment sur la résonance magnétique nucléaire (RMN). Cette technique connaît des avancées remarquables, mais de nombreux verrous demeurent pour en repousser les limites.
C’est tout l’enjeu du projet ERC que mène Gaël De Paëpe depuis le CEA-Inac, avec plusieurs brevets à la clé, des perspectives de transfert industriel, et des expériences qui le conduisent des matériaux pour l’énergie jusqu’aux amas de fibres amyloïdes propres à la maladie d’Alzheimer.
Comment définir la résonance magnétique nucléaire (RMN) ?
La RMN repose sur le même principe que celui de l'IRM (imagerie par résonance magnétique) mais son objet d'étude est un échantillon de matière (matériau, protéines…) plutôt qu'un patient. Dans les deux cas, les spins des noyaux des atomes interagissent avec un champ magnétique intense. Soumis à des ondes électromagnétiques précises, ces noyaux sont capables d'absorber de l'énergie (c'est la résonance). Le retour à leur état d'équilibre peut être détecté via le spectromètre RMN. Les signaux enregistrés (spectres), sont alors utilisés pour remonter à des informations structurales à l'échelle atomique. Il s'agit in fine d'une technique de caractérisation haute résolution dont les progrès permettent aujourd'hui de renseigner sur la structuration 3D de la matière.
La "polarisation dynamique nucléaire" (PDN), inventée dans les années 1950, est en train de révolutionner l'impact de la RMN en phase solide. De quoi s'agit-il ?
Cette technique permet d'augmenter la sensibilité d'une expérience de RMN solide par plusieurs ordres de grandeur. Elle consiste à « hyperpolariser » les spins nucléaires et donc à rendre leur détention beaucoup plus sensible : on y parvient en leur transférant la polarisation (aimantation) de spins électroniques, introduits en faible quantité dans l'échantillon grâce à des dopants, aussi appelés agents polarisants.
Cette approche nécessite le développement d'une instrumentation innovante permettant une irradiation in situ des transitions électroniques et nucléaires, le tout sur un échantillon en rotation rapide sur lui-même… jusqu'à 100 000 tours par seconde (100 kHz). Cette rotation pneumatique, obtenue à l'aide d'un flux de gaz sous pression, est essentielle pour obtenir des conditions de haute résolution. Nous avons installé fin 2011 le troisième spectromètre PDN au monde, à un champ magnétique de 10 teslas (T). Depuis, plus d'une trentaine de laboratoires utilisent la PDN pour leur recherche, ce qui illustre l'essor de cette technique pour la RMN solide.
Nous avons installé fin 2011 le troisième spectromètre PDN au monde à un champ magnétique de 10 teslas (T). Depuis, plus d'une trentaine de laboratoires utilisent la PDN, ce qui illustre l'essor de cette technologie pour la RMN solide.
Comment gagner davantage en sensibilité et en résolution?
Les développements actuels visent à implémenter la technique à des champs magnétiques de plus en plus élevés, typiquement de 10 à 22 T et plus. La problématique est cependant la suivante : plus on augmente le champ magnétique, plus on doit faire tourner vite l'échantillon, et plus le gain de polarisation diminue tandis que la durée du transfert augmente…
Cette problématique est au cœur de votre projet ERC...
Oui, et pour y répondre, nous proposons de développer une approche complexe. Elle repose sur une instrumentation innovante couplée à une méthodologie avancée mixant théorie et modélisation numérique, permettant d'améliorer notre compréhension du phénomène d'hyperpolarisation. Ce positionnement quasi-unique nous permet d'être parmi les quelques laboratoires au monde à réaliser des expériences aussi sensibles à des températures bien plus basses que la limite commerciale actuelle d'environ 100 kelvins (K).
Ce positionnement quasi-unique nous permet d'être parmi les quelques laboratoires au monde à réaliser des expériences aussi sensibles à des températures bien plus basses que la limite commerciale actuelle d'environ 100 kelvins (K).
Et vous avez de premiers résultats, à l'origine d'un dépôt de brevet et d'un possible transfert industriel ….
Nous avons déjà réalisé une preuve de concept d'expériences en rotation rapide jusqu'à 30 K. Elle a démontré d'importants gains en temps d'analyse, ramené d'une semaine à quelques heures, par rapport aux mêmes expériences sur des machines commerciales à 100 K. Ces développements intéressent d'ailleurs fortement un constructeur avec lequel nous envisageons effectivement un transfert industriel.
Par ailleurs, nous avons utilisé nos connaissances théoriques et nos outils de simulation, pour concevoir et synthétiser une nouvelle famille d'agents polarisants particulièrement efficace pour des applications à très haut champ magnétique et basse température. Cela nous a permis de déposer un brevet très récemment.
C'est un bon début mais nous sommes encore loin de la limite théorique ! Notre objectif serait de pouvoir atteindre des efficacités de transfert (hyperpolarisation) supérieures à 50 % en quelques secondes, pour un champ magnétique de 20 T et avec des fréquences de rotation de l'échantillon de 100 kHz ; ce qui est actuellement hors de portée. Pour comparaison, nous obtenons actuellement des efficacités PDN de 15 % en quelques secondes, à 10 T, et avec des rotations de 10 kHz.
Ces développements intéressent d'ailleurs fortement un constructeur avec lequel nous envisageons effectivement un transfert industriel.
Quels secteurs applicatifs visez-vous ?
Nous avons fait plusieurs contributions importantes dans le domaine de la RMN cristallographique, ou encore pour les problèmes d'étude de surfaces (e.g. catalyseurs) ou d'interfaces (e.g. biomatériaux). Par exemple nous avons pu sonder de manière fine la structuration à la surface de silice fonctionnalisée et distinguer de manière claire la condensation latérale (greffage) ou verticale (polymérisation). Actuellement, les gains en sensibilité nous permettent d'envisager l'étude d'amas fibrillaires, notamment impliqués dans de nombreuses maladies (Alzheimer, Parkinson, etc.) sans avoir recours au marquage isotopique (13C/15N)… Des expériences préliminaires sont en cours dans notre laboratoire et ouvrent la perspective de pouvoir utiliser la RMN-PDN pour étudier des fibrilles extraites de patients.
La RMN et la cryomicrosocpie électronique, objet du Prix Nobel de Chimie 2017, sont-elles complémentaires ?
La RMN et la cryomicroscopie électronique reposent sur deux principes de fonctionnement très différents. Cette dernière a récemment amélioré considérablement la résolution des cartes de densité électronique, lui permettant de résoudre des structures de systèmes biologiques qui résistaient aux rayons X ou à la RMN. La combinaison de toutes ces techniques sera essentielle pour développer des outils robustes capables de sonder la structure d'une macromolécule d'une part, mais aussi résoudre l'assemblage 3D de plus petites molécules, ainsi que sonder la surface ou l'interface de matériaux hybrides…
Que diriez-vous aux chercheurs tentés par l'aventure ERC ?
Je pense qu'il faut prendre le temps de bien réfléchir à son projet et de ne pas hésiter à repousser l'échéance de la constitution du dossier de candidature ; ce que j'ai fait à deux reprises et qui m'a finalement permis de bien mûrir ce projet.
Gaël de Paëpe, chercheur au CEA-Inac
• 2004 : Thèse
en RMN solide à l’ENS Lyon
• 2004 - 2008 : Post-doctorat
au Massachussetts Institute of Technology (MIT) – Boston
• 2008 : Obtention
d’une « chaire d’Excellence » ANR
• 2008 : Entrée au CEA-Inac
• 2015 : Obtention
d’une bourse ERC Consolidator