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Jean-Pierre Bourguignon - La Science d'abord !

Bienvenue dans les coulisses de l’European Research Council, programme prestigieux de la Commission européenne dont l’ambition, depuis 10 ans, est d’œuvrer à une recherche européenne d’excellence créative et dynamique. A la clé, un nouveau souffle donné à la science avec des impacts sociétaux évidents. Le point avec son Président, Jean-Pierre Bourguignon.

Pouvez-vous nous rappeler la genèse de l’European Research Council ?

L'European Research Council (ERC) répond à une demande formulée depuis au moins 1995 par la communauté scientifique : faire en sorte que la recherche soit soutenue en direct par la Commission européenne. A l'époque, les traités limitaient son intervention dans ce domaine à contribuer à la cohésion (avec des réseaux) et à créer de la richesse (via des consortia avec des partenaires industriels).

Après une longue bataille politique, cela a positivement évolué au début des années 2000 sous présidence danoise. Je tiens aussi à rappeler le rôle déterminant joué par José Mariano Gago, alors ministre de la Science au Portugal, et par Philippe Busquin, commissaire européen. L'ERC a été créé en 2007 et le Traité de Lisbonne, entré en vigueur en 2009, a ensuite confirmé la recherche comme responsabilité partagée de l'Union européenne. 


Quels sont les enjeux ?

La production scientifique européenne, certes très significative (1/3 de la production mondiale de nouvelles connaissances), était trop peu présente dans les publications scientifiques les plus citées. L’ERC a donc reçu pour mission de renforcer la créativité, le dynamisme et l’excellence de la recherche européenne. Les contrats ERC financent des projets soumis par des chercheurs individuels, sélectionnés exclusivement sur le critère de la qualité scientifique. Et cela, en toute indépendance, car la Commission européenne a accepté que les scientifiques choisis par le Conseil scientifique de l’ERC procèdent à la sélection des projets. 



L’ERC compte parmi ses lauréats six Prix Nobel, trois médailles Fields et cinq Prix Wolf. 
Dix ans après, ces objectifs ont-ils été atteints ?

Les contrats ERC ont engendré un réel dynamisme, avec près de 7 000 projets de recherche dans tous les domaines : sciences humaines et sociales, sciences physiques et ingénierie, sciences de la vie, répartis en 25 panels. Le taux de réussite de 10 à 11 % confirme le haut niveau de sélectivité du programme. J’insiste sur le fait que l’ERC vise à soutenir des projets ayant l’ambition d’introduire une rupture.

Depuis deux ans, nous avons mis en place une évaluation ex-post pour avoir une idée générale de l’impact : environ 20 % des projets achevés ont reçu la note A, signifiant des percées scientifiques indiscutables ; plus de 50 % ont reçu la note B pour avoir produit des progrès majeurs ; la note C concerne des projets ayant produit seulement des progrès incrémentaux, et il n’y a eu que 1 % d’échecs (D).

Ce n’est donc pas un hasard si les publications parmi les 1 % les plus citées au niveau mondial représentent 7% des publications de chercheurs ERC ; ni si, pour la première fois en 2014, l'Union européenne est passée devant les États-Unis au niveau des publications les 1 % les plus citées. A noter également que l'ERC compte parmi ses lauréats six Prix Nobel, trois médailles Fields et cinq Prix Wolf. 


L’ERC a ainsi financé, en plus des 7 000 « Principal investigators », 40 000 chercheurs dans leurs équipes avec une proportion de non-européen-nes très significative.  
L’ERC a-t-il un impact sur la recherche ?

Le Conseil scientifique a donné la priorité au soutien de chercheurs en début de carrière – les 2/3 des lauréat-es ont moins de 40 ans – pour contribuer significativement  à la constitution de la prochaine génération de scientifiques. 

Et, point important, dans certains pays et certaines disciplines, cela contribue à faire évoluer les mentalités car les jeunes ne disposent pas toujours de l’autonomie de décision ou de la maîtrise du projet qu’ils développent, ce qui est un frein évident à leur créativité et à la science.

Cette autonomie des chercheurs se manifeste par exemple dans le libre choix de leurs collaborateurs. L’ERC a ainsi financé, en plus des 7 000 « Principal investigators », 40 000 chercheurs   dans leurs équipes avec une proportion de non-européen-nes très significative. Il s’agit là d’une occasion privilégiée d’avoir accès aux meilleur-es jeunes scientifiques à l’échelle mondiale.

Par ailleurs, l’ERC travaille à donner un espace aux projets interdisciplinaires via les contrats « Synergy », à nouveau mis en place en 2018. Présentés par deux à quatre chercheurs autour de défis scientifiques, ces projets peuvent recevoir jusqu’à quinze millions d’euros pour six ans. La première édition en 2012 a été tellement sursouscrite que le taux de réussite n’a été que de 1 %. Il n’y a eu qu’une seule autre édition en 2013, parmi laquelle figure d’ailleurs un chercheur du CEA. 


Et quels sont les impacts sociétaux des projets lauréats ?

Bien que l’impact scientifique d’un projet soit la priorité, il est établi qu’il existe d’autres impacts. Quelques exemples : dans le domaine des sciences humaines et sociales, un nombre significatif de projets traitent de questions migratoires ; plus de 150 lauréat-es s’intéressent aux questions énergétiques, ce qui représente de l’ordre de 300 millions d’euros de financement.

Il est important de prendre en compte cet aspect car des ruptures sociétales importantes proviennent de projets soutenus par l’ERC.


L’institution a de nouveaux défis à relever…

En effet, la prochaine bataille sera celle du budget au-delà de 2020, ce qui dépendra du cadrage politique pour lequel la Commission européenne doit faire des propositions fin 2017 en vue des négociations pour le 9e programme-cadre (PC9). Les enjeux financiers sont importants car, alors que le programme Horizon 2020 était doté de 80 milliards d’euros, l’objectif de plusieurs parties prenantes est d’obtenir au moins 100 milliards pour le PC9, si sa durée est encore de 7 ans. 

A savoir, le budget de l’ERC est de 1,8 milliard d’euros en 2017 et il atteindra 2,2 milliards d’euros en 2020. Il représente 17 % du budget global d’Horizon 2020 qui n’est que 8 % du budget global de l’Union européenne. L’ambition pour PC9 est de faire croître la part de l’ERC à 25 %.


Que diriez-vous aux chercheurs intéressés à soumettre un projet ERC ?

En premier lieu ne pas avoir de complexe ! Ensuite, je leur conseillerais de bâtir leur dossier sur les idées qui leur tiennent le plus à cœur et de recueillir l’avis de collègues éventuellement un peu éloignés. Si sélectionné-es pour passer un entretien, ce qui est déjà une excellente performance, ils-elles doivent se préparer à des questions directes. L’entretien est d’abord une occasion de parler de science. D’ailleurs beaucoup de membres des panels me disent qu’ils n’aiment pas lire des exposés rédigés par des coachs scientifiques ; ce qui les intéresse, c’est la vision des scientifiques eux-mêmes : la science d’abord !


Jean-Pierre Bourguigon, mathématicien et président de l'ERC
1969 : Embauche au CNRS
1977 : Médaille de Bronze du CNRS
1986 : Professeur de mathématiques à l'école polytechnique, jusqu'en 2012
1987 : Prix Langevin de l'Académie des Sciences 
1994 : Directeur de l'Institut des Hautes Études Scientifiques (IHES) jusqu'en 2013
1994 : Président de l'European Mathematical Society jusqu'en 1998, après avoir présidé la Société mathématique en France de 1990 à 1992.
2014 : Président de l'European Research Council (ERC), après y avoir présidé de 2007 à 2010 le panel ERC des Starting Grants en mathématiques. 




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Expertise : Mathématicien et président de l'ERC