« Très vite j’ai pris goût à la recherche fondamentale tournée vers les applications. Après une thèse très fondamentale à l’Institut Néel (Grenoble), je suis parti au centre de recherches d’IBM à Almaden, en Californie. C’était en 1989, juste après la découverte par Albert Fert et Peter Grünberg de la magnéto-résistance géante (GMR). Celle-ci a aussitôt suscité beaucoup d’intérêt pour les têtes de lecture des disques durs chez les industriels du secteur. Chez IBM, on m’a demandé de chercher des matériaux présentant un effet de GMR avec des champs magnétiques mille fois plus faibles que ceux utilisés par les découvreurs. Et j’ai trouvé en quelques mois ce qu’on appelle les vannes de spin (spin valves) et seulement huit ans plus tard, des développements aboutissaient à un produit commercial incluant ces matériaux. Mon séjour de dix-huit mois chez IBM a agi sur moi comme un révélateur !
Une fois au CEA, j’ai orienté mes recherches vers les applications du nano-magnétisme et de l’électronique de spin, en particulier dans le domaine des capteurs magnétiques en tissant des liens avec le Leti. Dans ce contexte est né le projet d’une structure reliant recherche fondamentale et applications industrielles, et mariant la micro-électronique et le magnétisme. C’est ainsi qu’en 2002, le laboratoire Spintec a été créé, réunissant des équipes de recherche fondamentale du CEA, de l’Institut Néel et du CNRS à Strasbourg, avec le mot d’ordre d’aller vers les applications. Quelques années plus tard, des développements originaux de Spintec, comme les MRAM (Magnetic Random Access Memory) à écriture assistée thermiquement ou encore les circuits micro-électroniques hybrides CMOS – jonctions tunnel magnétiques, destinés à l’électronique basse consommation, ont conduit à la création des start-ups Crocus Technology et Evaderis.
En 2010, une découverte majeure de Spintec– le « couple de spin-orbite » ou « spin-orbit torque » (SOT) – est à l’origine d’un thème très porteur en spintronique. Comme pour couronner ces belles réussites, Samsung vient de dévoiler cet été à Zürich un démonstrateur de MRAM embarqué dans un contrôleur d’affichage d’écran. C’est une excellente nouvelle pour nos composants : tout un champ applicatif est en train de s’ouvrir !
Nous avons également une « seconde » mondiale très prometteuse à notre actif, dans le domaine de la santé cette fois. Nous avons démontré un concept de traitement anti-cancéreux, fondé sur des vibrations mécaniques sélectives appliquées aux cellules tumorales par l’intermédiaire de nanoparticules magnétiques. Les échanges ioniques à travers leurs membranes sont perturbés et déclenchent l’apoptose, la mort cellulaire programmée. La preuve de concept a été réalisée sur des cultures cellulaires de tumeurs du rein et de mélanome et doit être confirmée par des tests in vivo. »
Bernard Dieny dirige un projet de recherche pour développer des circuits intégrés magnétoélectroniques multifonctionnels particulièrement adaptés pour l’internet des objets. Ce projet, baptisé Magical a été sélectionné en 2015 l’European Research Council.
Entre 2010 et 2015, Bernard Dieny avait bénéficié d’une première bourse ERC pour un projet baptisé Hymagine, dédié au développement de composants et de systèmes magnétiques pour le développement d’une électronique reprogrammable, à mémoire non volatile à faible consommation d’énergie.
Ce projet complété par un contrat ERC-Proof of Concept a conduit à la création de la start-up Evaderis de conception de circuits en technologie hybride CMOS/magnétique.