Il y a 4 à 5 milliards d'années, le cosmic noon (« midi » de l'Univers) se distingue par une très forte activité de formation d'étoiles dans la plupart des galaxies. Mais curieusement, près d'un tiers des galaxies les plus massives de cette époque ne forme plus d'étoiles. Cette anomalie est aujourd'hui souvent attribuée à des flux gazeux provoqués par la rétroaction de trous noirs super-massifs situés au sein de ces galaxies.
Grace à l'interféromètre ALMA (Atacama Large Millimeter/Submillimiter Array), les astrophysiciens ont détecté une éjection de gaz exceptionnelle d'une galaxie massive (appelée ID2299). Pas moins de la moitié du gaz froid galactique s'échappe dans l'espace environnant ! À ce rythme, la galaxie sera privée du matériau nécessaire à la formation de nouvelles étoiles en seulement quelques millions d'années, c'est-à-dire instantanément à l'échelle de temps cosmologiques. Cette éjection « tue » en quelque sorte la galaxie en la privant de matière pour « fabriquer » de nouvelles étoiles.
ID2299, un intrigant « ancêtre » des galaxies elliptiques
La famille des galaxies elliptiques est apparemment simple à décrire mais en réalité, encore très mystérieuse. La plupart des étoiles de l'Univers proche sont situées dans ces grandes galaxies extrêmement massives et de forme sphéroïdale. Celles-ci sont constituées d'étoiles très vieilles et n'en forment plus de nouvelles. Depuis longtemps, les astrophysiciens essaient de comprendre les mécanismes responsables de l'inactivité de ces galaxies : la découverte de l'éjection massive du gaz froid de ID2299 pourrait bien les éclairer.
Jusqu'à présent, les scientifiques attribuaient aux trous noirs super-massifs, situés au cœur des galaxies, l'origine des éjections massives de gaz. L'accrétion de matière autour du trou noir s'accompagne en effet de l'émission de grandes quantités d'énergie et de l'apparition de vents puissants, capables de balayer le gaz de la galaxie. Cette rétroaction est un ingrédient essentiel pour reproduire les observations des galaxies grâce à des simulations numériques. Cependant, elle ne permet pas d'expliquer le cas extrême de ID2299.
Des « queues de marée » dues à la fusion de galaxies
L'éjection de ID2299 ne peut s'interpréter que par l'effet de « forces de marée » qui surviennent chaque fois que des galaxies fusionnent.
Les états finals résultant de ces forces de marée sont régulièrement observées sous la forme de « queues de marée », dans des galaxies en interaction gravitationnelle, proches de nous, comme par exemple dans les Galaxies des Antennes. Il est cependant beaucoup plus difficile de les détecter dans des galaxies lointaines en raison de leur faible luminosité.
Selon les chercheurs, une force de marée exceptionnelle aurait été produite dans ID2299 par la fusion en cours des deux galaxies massives qui la composent. Dans le même temps, la moitié du gaz froid de ID2299 aurait été comprimée dans un noyau dense, situé au centre de la galaxie, et très rapidement convertie en nouvelles étoiles (starburst), à un rythme environ 500 fois plus rapide que dans notre galaxie. Cette hypothèse est confortée par des simulations numériques détaillées, cohérentes avec l'observation de l'éjection de gaz.
Les astrophysiciens ont calculé que la fréquence de ces événements est suffisante pour expliquer en principe la plupart des galaxies inactives qui se sont formées à l'époque du cosmic noon.
Selon leur étude, les phénomènes d'éjection violents ne sont pas forcément dus à une rétroaction de trous noirs mais peuvent s'expliquer par la fusions de galaxies. Il est toutefois très difficile de distinguer ces mécanismes, qui coexistent souvent au sein d'une même galaxie, parce qu'ils produisent des effets similaires. Les chercheurs recommandent de reconsidérer l'interprétation de certaines observations à la lumière de leurs résultats.
La découverte de l'éjection de ID2299 n'a été possible que grâce au grand échantillon statistique d'observations de gaz froid dans plus de cent galaxies du cosmic noon, avec l'interféromètre ALMA, au Chili.