Des particules du
rayonnement cosmique jusqu'à des énergies d'environ 100 téraélectronvolts (TeV) (1) sont
produites dans notre Galaxie par des objets comme les vestiges de supernova et
les nébuleuses à vent de pulsar. Divers arguments théoriques, couplés aux
observations directes des rayons cosmiques atteignant la Terre, indiquent que
les "usines" galactiques de rayons cosmiques devraient être capables
de produire des particules jusqu'à des énergies d'au moins un pétaélectronvolt
(PeV) (2) énergies 100 fois plus élevées que celles jamais atteintes par l'Homme. Alors
que ces dernières années ont vu la découverte de nombreux accélérateurs au TeV
et à quelques dizaines de TeV, les sources de plus haute énergie restaient
inconnues.
L’analyse détaillée
de la région du centre galactique observée pendant près de dix ans par le
réseau de télescopes H.E.S.S. (High Energy Stereoscopic System), en Namibie,
auquel contribuent le CNRS et le CEA., est publiée aujourd’hui dans la revue
Nature. Lors de ses trois premières années d’observation, H.E.S.S a permis de
découvrir une source ponctuelle et très puissante de rayons gamma au centre
galactique, ainsi qu’une émission diffuse provenant des nuages moléculaires
géants qui l’entourent dans une région d'environ 500 années-lumière de large.
Ces nuages moléculaires, lorsqu'ils sont bombardés par des protons de très
haute énergie, émettent des rayons gamma produits lors de l'interaction
des protons avec la matière des nuages. La correspondance spatiale entre
l'émission diffuse observée et la quantité de matière dans les nuages (déduite
d’autres observations) indiquait la présence d’un ou plusieurs accélérateurs de
rayons cosmiques (en particulier de protons) tapis quelque part dans cette
région, mais cette source restait inconnue.
Les observations
plus approfondies, obtenues par H.E.S.S. entre 2004 et 2013, apportent un
nouvel éclairage sur cette question. Le volume record de données récoltées
ainsi que les progrès effectués dans les méthodes d‘analyse permettent de
mesurer la répartition spatiale des protons et leur énergie et de localiser
l’origine de ces rayons cosmiques. Il s’agit d’une source cosmique située au
centre exact de la Voie Lactée, capable d'accélérer des protons jusqu'à des
énergies voisines du pétaélectronvolt. Les chercheurs pensent qu’elle émet sans
interruption depuis au moins mille ans. Elle constituerait ainsi le premier "Pévatron" (3) jamais observé.
La détection des rayons cosmiques par H.E.S.S
La
Terre est bombardée en permanence par des particules de haute énergie
(protons, électrons et noyaux atomiques) en provenance du cosmos,
particules qui constituent ce que l'on appelle le "rayonnement
cosmique". Ces particules étant chargées électriquement, elles sont
déviées par les champs magnétiques du milieu interstellaire de la
Galaxie et il est impossible d'identifier directement les sources
astrophysiques responsables de leur production. Ainsi, depuis plus d'un
siècle, l'identification de l'origine du rayonnement cosmique reste l'un
des plus grands défis de la science.
Heureusement, les particules
cosmiques interagissent avec la lumière et le gaz au voisinage de leur
source et produisent alors des rayons gamma qui, eux, se déplacent en
ligne droite, permettant ainsi de remonter à leur origine. Ceux d'entre
eux qui atteignent la Terre, au contact de la haute atmosphère,
produisent une gerbe de particules secondaires émettant une lumière très
brève et ténue (a). De nombreuses sources du rayonnement cosmique ont
donc pu être identifiées ces dernières décennies en détectant cette
lumière à l'aide de grands télescopes munis de caméras à haute
définition temporelle comme le réseau de télescopes H.E.S.S. .Ce réseau,
le plus performant au monde dans son domaine, est géré par une
collaboration de 12 pays regroupant des scientifiques de 42 organismes.
(a) Lumière Tcherenkov
Le centre de notre
Galaxie abrite de nombreux objets susceptibles de produire des rayons cosmiques
de très haute énergie, dont en particulier un reste de supernova, une nébuleuse
à vent de pulsars mais aussi un amas compact d'étoiles massives. Cependant, le
trou noir supermassif localisé au centre de la Galaxie, Sagittarius A*, est de
loin le candidat le plus vraisemblable. Plusieurs régions d'accélération sont
envisageables : soit le voisinage immédiat du trou noir soit une région
plus éloignée, où une fraction de la matière tombant sur le trou noir est
réinjectée dans l'environnement et peut initier de l'accélération de
particules.
L'observation des rayons gamma permet de
mesurer indirectement le spectre en énergie des protonsaccélérés par le
trou noir central. Ce spectre indique que Sagittarius A* accélèrerait
encore maintenant des protons jusqu’au PeV. L'activité actuelle de la
source ne permet pas d'expliquer à elle seule l'intensité du rayonnement
cosmique observé sur Terre. Mais si le trou noir central avait été
encore plus actif dans le passé, il a pu produire à lui seul la
quasi-totalité du rayonnement cosmique galactique observé à ces
énergies. Un argument décisif au débat centenaire sur l’origine des
rayons cosmiques galactiques !
(1) un TeV =1012 eV, correspondant à des énergies de mille milliards plus élevée que la lumière visible
(2) un PeV = 1000 TeV=1015 eV