A la suite d’une blessure, les cellules souches de notre organisme
sont capables de rentrer dans un processus de division et de générer des
cellules filles spécialisées, dites « différenciées », afin de réparer
le tissu abimé. Les chercheurs de l’unité Cellules souches et
développement (Institut Pasteur/CNRS), dirigés par Shahragim Tajbakhsh,
s’intéressent en particulier aux cellules souches adultes du muscle
squelettique chez la souris.
Lors du processus de régénération
musculaire, celles-ci sont capables d’adopter deux modes de division
cellulaire : une division dite « symétrique », générant des cellules de
même nature : soit deux cellules souches, soit deux cellules
différenciées ; une division dite « asymétrique » au cours de laquelle
sont produites à la fois une cellule souche et une cellule différenciée.
Dans ce cas précis, l’ADN présent dans la cellule souche mère peut se
retrouver intégralement dans la cellule souche fille tandis que l’autre
cellule fille, différenciée, hérite de la copie de cet ADN. On parle de
ségrégation de l’ADN « biaisée ». Bien que l’on ne comprenne pas encore
bien le rôle de ce processus, des hypothèses suggèrent qu’il pourrait
intervenir dans la détermination de destins cellulaires : la nature de
l’ADN reçu en héritage par les cellules filles – original ou copie –
déterminerait si elle sera souche ou spécialisée.
Cet équilibre
entre division symétrique et asymétrique est primordial : il permet de
générer des cellules spécialisées, nécessaires au processus de
régénération, tout en gardant un réservoir de cellules souches constant.
Cependant, les mécanismes régissant la ségrégation de l’ADN et le
destin cellulaire demeuraient jusqu’alors inconnus.
Pour répondre
à cette question, les chercheurs ont souhaité étudier l’influence de la
tension qui s’exerce sur une cellule en milieu naturel, dans les tissus
de l’organisme. Ils ont pour cela mis en œuvre des « micropatterns »
conçus spécifiquement par l’Institut de recherches en technologies et
sciences pour le vivant (CEA IRTSV). Ces derniers sont des motifs de
formes variées (ronde, carrée, en ancre de bateau simple ou double etc)
de quelques micromètres carrés, de la taille d’une à deux cellules.
Disposés sur de petites plaques, à raison de plusieurs milliers par
plaque, ils sont recouverts de substrat permettant aux cellules de
s’attacher uniquement sur le motif. Chaque cellule souche est disposée
sur un micropattern, qui sert alors de rail à sa division : ses deux
cellules filles restent sur le motif. En jouant la forme du motif, et
donc sur la surface d’adhésion, il est possible de modifier les tensions
ressenties par la cellule souche et d’en étudier les conséquences sur
la nature des divisions.
Les scientifiques ont ainsi observé qu’un
motif asymétrique provoque environ 2,5 fois plus de division à
ségrégation de l’ADN « biaisée » qu’un motif symétrique. De plus, un
motif asymétrique provoque également quatre fois plus de divisions
asymétriques - donnant une cellule souche et une cellule différenciée -
qu’un motif symétrique.
Le motif asymétrique oriente donc vers une
division asymétrique et favorise le couplage entre ségrégation biaisée
de l’ADN et génération de deux cellules filles différentes. Le destin
des cellules souches ne reposerait donc pas uniquement sur des signaux
cellulaires internes, mais également, et dans une forte mesure, sur des
conditions extérieures, et notamment sur les tensions perçues par les
cellules en division.
En suggérant qu’il est possible d’orienter
le destin cellulaire des cellules souches, ces travaux portent des
implications majeures dans le cadre de l’utilisation de cellules souches
dans un contexte thérapeutique : les cellules pourraient ainsi être
produites selon les besoins et être transplantées pour participer à la
régénération d’un tissu ou d’un organe. Les chercheurs se penchent
désormais sur l’influence de la composition de la niche des cellules
souches. En maitrisant ce second facteur, ils espèrent pouvoir optimiser
le contrôle du destin des cellules souches.