En capturant et caractérisant un intermédiaire de la réaction de la protéine NosL, les chercheurs ont observé que cette dernière pouvait briser une liaison chimique différente de celle pour laquelle elle était initialement optimisée, une liaison carbone carbone (C-C). La protéine NoSL permet de transformer un acide aminé (en acide 3-méthylindolique) pour l’intégrer dans le précurseur3 du noshiheptide. Elle appartient à la famille des protéines dites ‘à radical SAM’ qui utilisent la chimie radicalaire4 pour effectuer des réactions chimiques difficiles qui, souvent, restent des défis pour les chimistes organiciens. Ces protéines sont notamment retrouvées aux étapes clés de synthèse de la plupart des cofacteurs5 et vitamines mais elles sont aussi nombreuses à être impliquées dans la synthèse d’antibiotiques naturels. La protéine NosL est apparentée à d’autres protéines appelées tyrosine-lyases, La forte ressemblance entre ces protéines et NosL, ainsi que leur capacité commune à couper la même liaison C-C de la tyrosine et du tryptophane, avaient conduit à la conclusion que ces protéines utilisent un même mode d’action hérité d’un ancêtre commun. En fait, cette réaction commune et héritée ne convertit pas le tryptophane en acide 3-méthylindolique. Les chercheurs ont observé de manière inattendue que, bien que l’agencement structural du site actif de la protéine NosL est originellement optimisé pour une réaction connue de type tyrosine-lyase, NosL est capable de casser une liaison chimique différente.
© CEA/IBS (Yvain Nicolet)
Ainsi, NosL est un exemple frappant de l'évolution d'une enzyme pour s'adapter à une nouvelle fonction en dépit de contraintes structurales héritées. Notamment, les équipes ont démontré qu’un regain de flexibilité de l'enzyme module très finement la liaison qui sera coupée. Cependant, l'activité ancestrale existe toujours et elle est en compétition avec la nouvelle fonction physiologique de la protéine. Cette flexibilité suggère que les enzymes à radical SAM pourraient être modifiées pour une utilisation contrôlée en biologie de synthèse.
[1] Des instituts IBS (Institut de Biologie Structurale) et INAC (Institut Nanosciences et Cryogénie), deux instituts de recherche grenoblois dans lesquels le CEA est fortement impliqué.
[2] L'antibiotique Nosiheptide était principalement utilisé comme additif alimentaire pour l'élevage des porcs et des volailles, et suscite aujourd'hui un regain d'intérêt pour ses effets contre des pathogènes dits « à gram positifs multi résistants », comprenant eutre autres le staphylocoque doré, responsable de plus de 60% des infections nosocomiales (contractée à l'hôpital) et de 7000 à 10 000 décès chaque année en France. En effet, nos anticorps sont peu efficaces dans la lutte contre le staphylocoque doré. Le développement de nouveaux traitements est donc nécessaire.
[3] Un précurseur est un composé intermédiaire qui conduit, grâce à diverses modifications ultérieures, à la production du produit final d'une réaction de synthèse.
[4] La chimie radicalaire renvoie à des interactions chimiques entre des espèces chimiques possédant un ou plusieurs électrons non appariés. La présence d'un « électron célibataire » confère à ces molécules, la plupart du temps, une grande instabilité, ce qui signifie qu'elles ont la possibilité de réagir avec de nombreux composés dans des processus le plus souvent non spécifiques, et que leur durée de vie est très courte.
[5] En biochimie, un cofacteur est une substance chimique non protéique, mais qui est liée à une protéine, et qui est nécessaire à l'activité biologique de celle-ci. Ces protéines sont souvent des enzymes, et les cofacteurs peuvent être considérés comme des « molécule d'assistance » aidant aux transformations biochimiques.