Qu’est-ce qu’un capteur quantique ?
«
Un capteur, par définition, est un outil qui permet de mesurer une ou plusieurs grandeurs physiques, explique Preden Roulleau, directeur de recherche au CEA-Iramis.
Ils sont dits "quantiques" lorsqu’ils utilisent pour fonctionner des propriétés quantiques, comme
le principe de superposition, l’interférence quantique ou l'intrication de leurs états quantiques ». Ces capteurs peuvent contenir différents types de particules (photons ou électrons), ou des atomes, que les physiciens sont capables de placer dans un état quantique donné. Ce dernier a la particularité d’être extrêmement sensible : la moindre perturbation dans l’environnement qui l’entoure peut l'altérer. D’où
la précision et la sensibilité inégalée de ces capteurs.
Depuis quand cette idée de capteur quantique est-elle développée ?
L’origine des capteurs quantiques est assez ancienne : en effet,
dès les années 1950, les
horloges atomiques ont démontré l’intérêt de l’utilisation d’un système quantifié et parfaitement reproductible pour la réalisation des étalons de fréquence - une propriété à l’origine de la redéfinition de la seconde à partir d’une transition de l’atome de césium. Aujourd’hui, les horloges atomiques permettent de
réaliser et de garder synchrones l’ensemble des échelles de temps réalisées dans le monde.
L'horloge atomique à fontaine d'atomes de Césium NIST-F1. Cette horloge est l'étalon primaire de temps et de fréquence des États-Unis, avec une incertitude de 5.10-16 (en 2005). © Domaine public
Quelles sont les applications de ces capteurs ultra sensibles ?
Du développement des horloges atomiques ont découlé de nombreuses applications dans les domaines des
télécommunications, des
transports, de la certification des
transactions et bien sûr des
systèmes de positionnement par satellite.
Par ailleurs, de nouveaux types de capteurs sont aussi issus de ces premières horloges :
les capteurs à atomes froids, ou interféromètres. Leurs applications sont multiples : les gravimètres (mesurant la gravité) peuvent servir à
prévoir les
séismes ou prospecter les sous-sols. Certains sont d’ailleurs déjà commercialisés par la société française Muquans (la première et la seule entreprise au monde à le faire), qui fabrique des gravimètres utilisés pour sonder le sol, et détecter par exemple la formation d’une poche de magma dans un volcan. Les
accéléromètres (qui mesurent l’accélération) peuvent être utilisés dans la mise au point de
systèmes de navigation autonomes.
D’autres capteurs, fonctionnant grâce à un défaut contenu dans
un cristal de diamant (le centre NV* du diamant), sont eux capables de « mesurer des champs magnétiques avec une résolution spatiale exceptionnelle, puisqu’on peut s’approcher extrêmement près d’une source de champ magnétique, à quelques nanomètres », souligne Patrice Bertet, chercheur au CEA-Iramis. Ils sont notamment utilisés pour
caractériser les propriétés magnétiques de certains
matériaux. Ces capteurs ont aussi l’immense avantage de pouvoir être utilisés dans des conditions de pression et de température ambiantes, ce qui facilite et élargit leur utilisation.
Gyromètre à atomes froids © A. Landragin / SYRTE / CNRS
S’ils sont les plus développés actuellement, les interféromètres et les capteurs à diamant à centre NV ne sont pas les seuls types de capteurs quantiques existants. «
Les propriétés quantiques de la lumière peuvent aussi être mises à profit pour améliorer la performance d’un interféromètre, explique Patrice Bertet.
Les états quantiques « comprimés » sont notamment mis en œuvre depuis deux ans dans Lirgo et Virgo, les deux interféromètres à ondes gravitationnelles ». Une véritable prouesse car ces capteurs ont permis de
détecter pour la première fois, en 2015, des ondes jusqu’alors restées indétectables, issues de la violente coalescence de deux
trous noirs situés à 1,3 milliard d’années-lumière de la Terre.
Il existe également des
capteurs reposant sur des circuits
supraconducteurs, développés notamment par Patrice Bertet et son équipe. «
Avec ces capteurs, nous effectuons de la détection ultra-sensible de la résonance magnétique, avec une sensibilité allant à quelques dizaines de
spin et que nous espérons pousser au spin unique dans un avenir proche. Enfin, certains des capteurs développés au CEA sont autant de briques qui pourront un jour, en répondant à certains défis posés dans le cadre du traitement quantique de l’information, contribuer à la construction d'un ordinateur quantique.
Mag4Health : des capteurs quantiques au service de l’imagerie médicale de pointe
Créée tout récemment en 2021,
la start-up Mag4Health issue du CEA-Leti a mis au point, à partir de capteurs quantiques développés au CEA-Leti, une nouvelle génération de magnétoencéphalographes (MEG) fonctionnant à température ambiante. La
magnétoencéphalographie ou MEG est une méthode de neuro-imagerie qui consiste à enregistrer, en temps réel, l’activité électromagnétique du
cerveau, améliorant ainsi le diagnostic de certaines maladies neuronales. On compte aujourd’hui une centaine de dispositifs MEG en milieu hospitalier du fait de leur coût, jusqu’à 2,5 millions d’euros l’unité, mais aussi de leur poids, plus de 5 tonnes. Mag4Health entend révolutionner l’accès à la MEG avec l’introduction d’un dispositif non invasif, cinq fois moins cher et pesant 300 kg environ. Cette démocratisation devrait permettre de faire émerger de nouveaux usages cliniques, tels que la rééducation après un AVC ou encore le diagnostic précoce de la maladie d'Alzheimer. La start-up déploie depuis 2021 ses prototypes à base de capteurs quantiques en milieu CHU.
Comment fonctionnent ces capteurs quantiques ?
Dans le cas des diamants à centre NV,
on utilise un défaut contenu dans des diamants de synthèse – un atome d’azote et une lacune, qui remplacent un atome de carbone. Ce défaut, soumis à un laser, émet une lumière dont l’intensité dépend de l’état de spin des électrons qui l’entourent – un état de spin étant un état de rotation de l’électron purement quantique et sensible au champ magnétique. Ainsi, en présence d’un champ magnétique extérieur, ces états de spin vont se modifier, et modifier l’intensité de la lumière émise par le défaut. C’est comme cela que l’on peut remonter de manière très précise à la valeur du champ magnétique.
Les interféromètres fonctionnent un peu différemment :
on utilise des atomes refroidis par laser à des températures très basses (à quelques microkelvins du zéro absolu, soit -273,15°C), ce qui a pour conséquence de les ralentir (leur vitesse s’approche de zéro). Cette faible vitesse des atomes refroidis permet de mesurer de manière extrêmement précise les forces auxquelles ils sont soumis. «
Les interféromètres ainsi obtenus sont très sensibles à la rotation, à la gravité et à l’accélération », indique Patrice Bertet.
Schéma d’un interféromètre atomique utilisant des atomes en chute libre manipulés par des séparatrices lasers. © A. Landragin / SYRTE / CNRS
Quels sont les enjeux de R&D autour des capteurs quantiques ?
La très
grande sensibilité des capteurs quantiques va de pair avec une très grande fragilité face aux sources de décohérence, ce qui explique que l’utilisation de la plupart de ces capteurs reste aujourd’hui encore
limitée à des marchés très spécifiques. Les enjeux de R&D affirmés dans la
stratégie nationale sur les technologies quantiques consisteront à
consolider la position de la France sur les capteurs à atomes froids et à développer la prochaine génération de senseurs inertiels, de capteurs magnétiques et d’horloges atomiques.
Feuillet de graphène, élément du capteur quantique, qui a permis d'observer pour la 1ère fois le dipôle électrique associé aux ondes de spin électroniques (2021) © P. Roulleau - P. Jacques / CEA
En particulier, pour les capteurs quantiques développés au CEA, les axes de recherche consistent d’une part à explorer des systèmes qui permettraient de s'affranchir de la contrainte des très basses températures et d’autre part à développer la réalisation des circuits à plus grande échelle que l’échelle du laboratoire. Des pas se font dans ce sens, avec par exemple la réalisation d'un Qubit silicium au CEA-Leti, à Grenoble en 2016 - la technologie silicium très bien maitrisée pouvant permettre une réalisation plus aisée des circuits et faciliter le passage à l’échelle. La recherche se poursuit dans le cadre notamment du projet
ERC Synergy QuCube, mené par des chercheurs du CEA et du CNRS, et du projet H2020 QLSI piloté par le CEA-Leti. Le plan quantique national offre à
QuantAlps de belles opportunités dans le domaine avec des très beaux projets instruits
dans le cadre du PEPR qui vont démarrer prochainement.
*NV pour nitrogen vacancy