La Terre est comparable à une gigantesque machine thermique, dont la chaleur provient en partie de son noyau, situé au-delà de 2 900 km de profondeur, une zone constituée essentiellement de fer et où règne une pression supérieure à 1 million d’atmosphères (ou 100 Gigapascals).
La chaleur provenant du noyau est essentielle car elle influence la
nature des mouvements convectifs dans le manteau, responsables de la
tectonique des plaques. C’est aussi cette chaleur qui permet
d’entretenir le champ magnétique terrestre.
Comment estimer sa température, en l’absence de moyen de mesure directe ?
Le
noyau est en grande partie liquide mais, en observant les ondes
sismiques qui traversent la Terre, les sismologues savent que sa partie
la plus profonde, qu’on appelle la graine, est solide. La graine grossit
très lentement par solidification du noyau liquide. A la limite
noyau-graine, à 5 150 km de profondeur et 3,3 millions d’atmosphères de
pression, la température doit donc être proche de la température de
fusion du fer. Pour connaitre la température dans le noyau
terrestre, il suffit donc de connaitre la température de fusion du fer à
330 Gigapascals (GPa)… Cette question avait déjà motivé plusieurs
équipes mais jusqu’à présent, les évaluations expérimentales et
théoriques divergeaient.
Les chercheurs du CEA (1), de l’ESRF (2) et du CNRS (3) ont essayé de comprendre cette divergence.
De minuscules grains de fer, de la taille de grains de poussière (quelques microns), ont été comprimés entre deux pointes de diamants, créant ainsi une pression atteignant 2 millions d’atmosphères. Un faisceau laser a permis de chauffer les échantillons à plusieurs milliers de degrés. Grâce
à un faisceau ultra fin de rayons X de l’ESRF, les chercheurs ont pu
déterminer par diffraction l’état de l’échantillon, solide ou en fusion,
jusqu’à des valeurs de 4 800°C et 2,2 millions d’atmosphères (voir image 2).
(1) Direction des applications militaires du CEA, Bruyères-le-Châtel (91).
(2) Synchrotron européen de Grenoble.
(3) Institut de minéralogie et de physique des milieux condensés (CNRS/UPMC/IRD).
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Image 1 - Recréer les conditions du noyau terrestre
au laboratoire: de très petits morceaux de fer, de la taille de grains
de poussière, sont placés entre les pointes de deux diamants. Presser
les diamants l’un contre l’autre permet de produire des pressions
atteignant 2 millions d’atmosphères et au-delà. Un faisceau laser
infrarouge peut alors chauffer l’échantillon jusque 3000 à 5000°C pour
le faire fondre.
Image 2 - Un faisceau très fin de rayons X
synchrotron est utilisé pour détecter si l’échantillon de fer a fondu ou
non. Ce changement d’état modifie le spectre de diffraction des rayons X
enregistré derrière l’échantillon.
Crédit ESRF/Denis Andrault.
Cette technique n’avait pas encore été employée car elle est très difficile à mettre en œuvre pour des échantillons si petits. Les mesures ont confirmé les résultats théoriques.
Le montage expérimental sur la ligne de lumière ID27 de l’ESRF, où les
expériences ont été réalisées. La cellule à enclumes de diamants est au
centre du cylindre en cuivre. Crédit ESRF/Blascha Faust.
Les chercheurs pensent aussi savoir pourquoi les précédentes
évaluations expérimentales de la température de fusion du fer dans ces
conditions, en particulier une étude allemande datant de 1993,
différaient des calculs théoriques : un phénomène de re-cristallisation
du fer, pendant l’expérience, en serait à l’origine.
Extrapolées jusqu’à 3,3 millions d’atmosphères, les mesures donnent une température de fusion du fer de 6 000°C environ. L’accord entre mesure et prédictions théoriques permet maintenant d’estimer avec une bonne précision la température dans le noyau : entre 3 800°C et 5 500°C suivant la profondeur.
Vue d’artiste des différentes enveloppes de la terre profonde avec leurs
pressions et températures caractéristiques : la croûte, le manteau
supérieur et inférieur (rouge), le noyau liquide (orange) et la graine
(jaune). La pression à la limite noyau liquide-graine est de 3,3
millions d’atmosphères. Sa température est proche de la température de
fusion du fer à cette pression. Crédit ESRF.
Le flux de chaleur qui s’en échappe serait alors d’environ 10 térawatts,
une valeur qui confirme les modèles géophysiques du champ magnétique
terrestre. Il pourrait suffire à faire fondre le manteau à sa base, ce
qui favoriserait des mouvements de montée d’un fin panache de matériau
mantellique vers la surface de la Terre. Ces panaches sont responsables
de la formation de volcans qu’on appelle « points chauds » comme ceux qui constituent les îles d’Hawaii ou de la Réunion.