Les galaxies les plus massives ont connu leur phase de croissance la plus rapide lorsque l’Univers avait environ 20% de son âge actuel. Les immenses quantités de poussière et de gaz ont alors donné lieu à de véritables feux d'artifice de formation d'étoiles, environ cent fois plus rapides que dans la Voie Lactée. Les étoiles se sont principalement formées au sein de régions gazeuses, compactes et très massives, et dont les interactions avec les galaxies hôtes restent peu explorées.
En utilisant les deux radiotélescopes de l'IRAM, l'observatoire NOEMA situé dans les Alpes (France) et le télescope de 30 mètres de Pico Veleta (Espagne), les chercheurs ont constaté que ces pouponnières d'étoiles ne sont pas isolées, mais échangent constamment du gaz avec le milieu interstellaire environnant. “C'est la première fois que nous détectons du gaz moléculaire éjecté d'une de ces pouponnières, et produisant un vent galactique pouvant évacuer la majorité du gaz de cette région en seulement quelques millions d'années” explique Raoul Cañameras, auteur principal de la nouvelle étude débutée dans le cadre de sa thèse à l'Institut d'Astrophysique Spatiale (IAS, Université Paris-Sud/CNRS). “Nous avons découvert ce vent dans une galaxie récemment identifiée et surnommée ''l'Emeraude'', environ 3 milliards d'années après le Big Bang, en analysant la raie d'émission du monoxyde de carbone.”
Cette prouesse a été possible grâce à l’effet grossissant de « lentille gravitationnelle », dû à la présence d’un amas de galaxies situé entre la Terre et l'Emeraude. Les chercheurs ont ainsi pu étudier la formation des étoiles dans l'Emeraude sur des échelles de quelques centaines d'années-lumière, habituellement accessibles uniquement pour les galaxies proches.
Le monoxyde de carbone est une molécule couramment utilisée pour localiser le gaz moléculaire. La raie d’émission de ce gaz contient une composante spectrale dont le décalage témoigne d’une vitesse élevée, signature d’un vent important.
“Le gaz atteint des vitesses suffisamment élevées pour quitter cette région mais pas la galaxie elle-même, et va donc rester piégé”, ajoute Nicole Nesvadba de l'IAS. “Cela signifie que le vent peut limiter la croissance de la région de formation d'étoiles, mais pas de la galaxie dans son ensemble”. De plus, si cette région éjecte plus rapidement son gaz qu'elle n'en accumule, elle pourra se dissoudre et libérer son contenu dans la galaxie hôte. Les zones denses de formation d'étoiles semblent donc être des structures transitoires qui évoluent rapidement au sein des galaxies.
Les scientifiques ont également étudié les propriétés physiques des nuages moléculaires dans l'Emeraude et d'autres galaxies similaires, en observant plusieurs raies d'émission du monoxyde de carbone avec le télescope de 30 m de l'IRAM. “Ces transitions nécessitent différentes énergies pour être excitées. Ainsi, en mesurant leur intensité relative, nous pouvons déterminer la densité et la température du gaz, ainsi que l'intensité du rayonnement produit par les jeunes étoiles récemment formées”, commente Chentao Yang de l'ESO, co-auteur de cette étude.
De précédentes observations ont montré que, dans les galaxies à bouffées de formation d'étoiles proches de la Voie Lactée, le gaz atteint les densités et températures les plus extrêmes au sein des nurseries d'étoiles et qu’il est plus diffus dans les régions environnantes. Cependant, l'émission du gaz moléculaire entre les pouponnières d'étoiles est beaucoup plus ténue, et donc très difficile à sonder dans les galaxies de l'Univers jeune. “Nous devons détecter un grand nombre de raies d'émission avec différentes énergies d'excitation pour comprendre si ces galaxies lointaines hébergent un ou plusieurs régimes de phases gazeuses”, ajoute Raoul Cañameras. “En plus du gaz directement associé à la formation d'étoiles, les observations de l'IRAM ont révélé une deuxième composante moins dense et pouvant atteindre jusqu'à la moitié de la masse totale en gaz dans ces galaxies.” Ses propriétés correspondent à des réservoirs de gaz répartis sur de grandes échelles et pouvant participer à la formation de nouvelles nurseries d'étoiles géantes.
Ces galaxies ont été découvertes grâce au relevé du satellite Planck de l'ESA dans le domaine submillimétrique. “Bien que Planck ait été principalement conçu pour étudier le rayonnement du fond diffus cosmologique, il s'est également révélé très utile pour identifier les galaxies les plus brillantes et les plus rares dans l’Univers jeune”, déclare Hervé Dole de l'IAS, coordinateur de l'étude des sources extragalactiques au sein de la collaboration Planck. “L'utilisation combinée de Planck et de l'IRAM illustre à merveille le potentiel scientifique exceptionnel des observatoires terrestres et spatiaux européens pour approfondir notre compréhension de l'Univers”, conclut Nicole Nesvadba, qui dirige la caractérisation de ces galaxies.
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