Les matériaux fragiles, par exemple le verre, se cassent par propagation de fissures. Prévoir le comportement à la rupture de tels matériaux nécessite notamment de connaître la vitesse d'avancée de la fissure et de comprendre les facteurs dont elle dépend. Jusqu’à présent, les connaissances théoriques se fondaient sur une vitesse maximale égale à celle des ondes acoustiques de surface dans le matériau, dite « vitesse de Rayleigh ». Les chercheurs qui ont travaillé à l’étude relatée dans PNAS ont montré que la vitesse des microfissures engendrées sur des défauts du matériau et observées à une échelle suffisamment fine pour pouvoir être isolées les unes des autres, est en fait quatre fois plus faible qu’attendu ! C'est par un effet géométrique de rencontre de ces multiples microfissures que la fracture globale est finalement si rapide.
Pour obtenir ce résultat, les chercheurs ont cassé des échantillons de plexiglas® en variant la force effectivement appliquée pour ouvrir la fissure. Ils observent logiquement que l'échantillon se rompt d'autant plus vite que la force appliquée est élevée. Au-delà d’une certaine vitesse de rupture, la propagation de la fissure s’accompagne de la naissance, sur de minuscules défauts toujours présents dans le matériau, d'une multitude de microfissures en avant du front de fissure principal. Ces microfissures se créent au rythme de centaines de millions par seconde (soit un temps caractéristique de 10 nanosecondes), ce qui rend impossible leur suivi en temps réel au cours de l’expérience. Cependant chaque microfissure laisse son empreinte sur les surfaces de rupture (voir figure ci-dessous), que les chercheurs ont tout le temps d’analyser après l’expérience.
| Vue au microscope (lumière polarisée) d’un exemple de marque laissée par une microfissure sur une surface de rupture rapide d’un échantillon de Plexiglas®. Dimensions de l’image : 128 µm × 137 µm.
© CEA-CNRS. |
Les chercheurs ont ainsi pu reconstruire en détail la série d’événements ayant amené à une rupture rapide. Il est en effet possible, à partir de la géométrie du réseau d’empreintes, de déterminer le point origine de chacune des microfissures, la chronologie de leurs naissances, et finalement la vitesse à laquelle chacune s'est développée.
Leurs observations remettent en cause la vision classique de la rupture d’un matériau. Surprise, toutes les microfissures se propagent à la même vitesse, d’environ 200 m/s, indépendamment du niveau de force appliquée pour ouvrir la fissure principale (pour une vitesse de Rayleigh de l'ordre de 900 m/s). Ce comportement observé à l'échelle microscopique est très différent de celui observé à grande échelle, où la vitesse de fracture augmente avec la force, et peut atteindre des valeurs bien supérieures pouvant atteindre 500 m/s. C'est en fait par la coalescence des microfissures avec la fissure principale, que la vitesse de fissuration apparente est augmentée. Ces résultats contredisent l’opinion qui prévalait jusque-là dans la communauté scientifique, selon laquelle la génération de microfissures, en dissipant un surcroît d’énergie, ralentirait la fracture.
Cette étude souligne le rôle important que jouent les défauts microscopiques présents dans un matériau sur son comportement en rupture. La prise en compte de ces effets doit permettre de mieux apprécier, et à terme d’améliorer, la résistance à la rupture des matériaux. Au-delà de cet aspect fondamental, la méthodologie développée pour reconstituer en détail l’histoire des événements se produisant au cours de la rupture, pourrait trouver des applications importantes. L’analyse des empreintes laissées sur les surfaces de rupture pourrait fournir, par exemple, des indications sur les causes de l’effondrement d’une structure.
IRAMIS : Institut Rayonnement Matière de Saclay.
Laboratoire SVI : Surface du Verre et Interfaces.
Laboratoire LTDS : Laboratoire de Tribologie et Dynamique des Systèmes.