Comment produire et transporter une charge électrique dans un conducteur
à l’échelle du monde quantique ? Cette opération se heurte à une
difficulté importante. Les charges se déplacent dans un conducteur
rempli d’électrons. L’introduction d’une charge supplémentaire met alors
toutes les autres charges en mouvement. Comme si une goutte tombant
dans la mer provoquait de hautes vagues ! Dans le monde quantique, ces «
vagues » d’électrons trahissent leur présence par des fluctuations
électriques : on parle de « bruit de grenaille »[3].
Les
chercheurs se sont intéressés à la proposition, datant de près de vingt
ans, du théoricien du MIT, Leonid Levitov. Si on applique une impulsion
de courant particulière à un conducteur, celle-ci peut n’engendrer
aucune « vague » dans la « mer » d’électrons que forme le conducteur.
Pour réunir ces conditions, il faut que la charge électrique
correspondante soit un multiple de celle de l’électron et son profil
temporel une courbe de type lorentzienne.
Des physiciens du CEA et
du CNRS ont réussi à injecter dans un conducteur une telle impulsion,
ne dépassant pas une durée de quelques dizaines de picosecondes, grâce à
un générateur de signaux arbitraire toutes les 40 picosecondes
(10-12s). La conception du conducteur et du détecteur de bruit est,
quant à elle, issue de l’expertise du laboratoire de Nanoélectronique du
CEA, pionnier dans la mesure de bruit depuis les années 1990 et de
celle de ces collaborateurs du laboratoire de photonique et de
nanostructures du CNRS, experts dans l'élaboration de nanotechnologies
de structures de très haute qualité depuis le milieu des années 80. Le
nano-circuit utilisé comprend un « contact ponctuel quantique » destiné à
contraindre la géométrie du conducteur (nanofil). Ce contact est
matérialisé par deux nano-électrodes perpendiculaires au passage des
charges, séparées de trente nanomètres seulement. La mesure du bruit et
de son extinction est une véritable prouesse quand on sait qu’il ne
dépasse pas un femto-ampère (10-15Ampère). Les chercheurs ont pu
vérifier expérimentalement que seules les excitations électroniques
satisfaisant les critères de Leonid Levitov « éteignent » le bruit.
Par analogie avec les « solitons »[4], des ondes « solitaires » capables
de se propager sur de très longues distances sans altération, les
chercheurs ont baptisé ces excitations fondamentales d’une nature
nouvelle « levitons » (contraction de « Levitov » et « soliton »).
[1] Groupe Nanoélectronique, Service de Physique de l’état condensé (SPEC, CNRS/CEA) / Iramis ; Laboratoire de photonique et de nanostructures (LPN, CNRS). Ces résultats sont disponibles sur le site de Nature depuis le 23/10/2013 : http://www.nature.com/nature/journal/vaop/ncurrent/full/nature12713.html
[2] Des chercheurs de l’ETH de Zürich ont participé à cette étude.
[3] Il s’agit pour des électrons de l’analogue du bruit de photon qui est lié à la nature corpusculaire des particules.
[4] Rencontrés dans de nombreux phénomènes physiques, un soliton est une onde qui se propage sans se déformer dans un milieu non linéaire et dispersif. Par exemple, un mascaret est une forme de soliton.
Ces
levitons ouvrent la voie à des sources d’électrons « à la demande »,
simples et fiables, permettant de réaliser des interférences à plusieurs
électrons dans un conducteur. Au-delà de son intérêt en physique
quantique, la génération de levitons repose sur une propriété
remarquable de modulation des ondes qui pourrait avoir des applications
en physique et en information quantique.
Ce travail a bénéficié
d’un soutien européen grâce à l’attribution en 2008 d’un financement
ERC (Conseil Européen de la Recherche) « Advanced Grant MeQuaNo »
(Mesoscopic quantum noise: from few electron statistics to shot noise
based photon detection).