Hubble et Lemaître ont mis en évidence l’expansion de l’Univers dans
les années 1920 en procédant à deux types de mesures pour un même
ensemble de galaxies : la distance entre ces galaxies et nous, ainsi que
la vitesse de ces galaxies (en utilisant l’effet Doppler sur les raies
de leurs spectres).
Leurs observations sont à l'origine du modèle
"standard" actuel de la cosmologie. Au début de l’histoire de
l’Univers, cette expansion s'est ralentie continument, sous l'effet de
la gravitation de matière et de la radiation. Mais depuis cinq milliards
d'années, ce comportement s'est inversé : l'expansion s'est mise à
accélérer, sous l'effet d'une mystérieuse force répulsive produite par
"l'énergie sombre". Des expériences en cosmologie ont permis d’observer
cette période d'accélération récente, mais jusqu'ici pas la décélération
primitive de l’Univers. Réussir à mesurer cette décélération exige de
remonter aux premiers milliards d’années de son histoire, de remonter
loin dans le temps, donc d’observer loin dans l’espace. Pour cela, des
galaxies ne suffisent plus : à des distances aussi élevées, leur
luminosité devient trop faible.
Pour contourner le problème, les
astrophysiciens du Sloan Digital Sky Survey (SDSS-III) [1], composé
notamment de chercheurs français, se sont donc intéressés aux quasars,
des astres lointains et extrêmement brillants. Lorsqu’on mesure le
spectre d’un quasar, on voit non seulement sa lumière mais aussi
l’absorption résiduelle du gaz intergalactique entre le quasar et nous.
Les astrophysiciens ont pu ainsi étudier la distribution du gaz
intergalactique et y détecter des nuages d’hydrogène, pour reproduire
sur eux une expérience similaire à celle d’Hubble et Lemaître sur les
galaxies.
Pour appliquer efficacement cette technique de mesure
innovante de SDSS-III, dite de la « forêt Lyman-alpha », encore
fallait-il pouvoir disposer d’un très grand nombre de quasars, et
dresser ainsi une carte de l’univers lointain et en trois dimensions.
C’est le groupe français de SDSS, en partie financé par l’ANR, qui s'est
principalement spécialisé dans la recherche, l'étude et la sélection
des quasars à observer. Le premier catalogue de la collaboration a été
publié mi-octobre et contient 89 000 quasars.
L’étude a porté
ensuite sur 50 000 de ces quasars. Elle résulte principalement du
travail de chercheurs du laboratoire Astroparticule et Cosmologie
(CNRS/Université Paris Diderot/CEA/Observatoire de Paris), de l’Institut
de recherche sur les lois fondamentales de l’Univers (Irfu, CEA Saclay)
et de l’Institut d’Astrophysique de Paris (CNRS/UPMC), en collaboration
avec le reste du groupe SDSS-France (le LAM [2], le CPPM [3] et
l’Institut Utinam [4]) et l’ensemble de l’équipe SDSS-III.
[1] http://www.sdss3.org
[2]Laboratoire d’Astrophysique de Marseille (CNRS/Aix Marseille Université)
[3] Centre de physique des particules de Marseille (Aix-Marseille Université/CNRS)
[4] Observatoire des Sciences de l'Univers THETA/Institut UTINAM (CNRS/Université de Franche-Comté)
Au delà
de ce résultat très important, SDSS-III va continuer à améliorer notre
connaissance de l’énergie noire : à la fin du relevé, en 2014, il aura
mesuré plus d’un million et demi de galaxies, et plus de 160 000
quasars. Il aura aussi permis de démontrer que la technique de mesure de
la « forêt Lyman-alpha » n’est plus un pari risqué, mais une méthode
standard pour explorer l’Univers lointain.
La lumière de quasars distants (les points à gauche) est partiellement absorbée lorsqu’elle traverse des nuages d’hydrogène intergalactique (au centre). Ce phénomène crée une « forêt » de raies d’absorption, qui peut être interprétée pour créer une carte du gaz. Les points jaunes sont les quasars précédemment connus. Les points rouges sont les quasars découverts par BOSS. BOSS a collecté des spectres de dix fois plus de quasars que les précédents relevés.
Les nombres en bas montrent le temps dans le passé, en milliards d’années. L’axe vertical montre le taux d’expansion de l’Univers. Les mesures utilisant des galaxies apparaissent comme des points à droite du graphe. Jusqu’à présent, les cartes 3D par BOSS et d’autres relevés mesuraient la distribution des galaxies jusqu’à 5,5 milliards d’années dans le passé, à un moment où l’expansion de l’Univers s’accélérait déjà. La nouvelle mesure, le point à gauche, a maintenant sondé la structure de l’Univers lointain à un moment où l’expansion se ralentissait encore.