Métavers, supercalculateur... Des termes très médiatisés à l’heure actuelle mais qui peuvent néanmoins sembler un peu obscurs lorsque l’on ne baigne pas dans ces domaines... Pourriez-vous nous expliquer ce qu’est un métavers ? Un supercalculateur ?
Est qualifié de
métavers un monde parallèle virtuel immersif et persistant dont le temps s’écoule de la même façon que dans la vie réelle. Il s’agit d’un monde fictif dans lequel une personne évolue par le biais d’un moyen de
réalité virtuelle, grâce à un casque par exemple. Selon l’entreprise Meta, le métavers devrait venir remplacer l’internet actuel.
Un
supercalculateur est un ordinateur conçu pour obtenir les plus hautes performances possibles. Pour ce faire, il intègre plusieurs dizaines de milliers de
processeurs, permettant de réaliser un nombre important de calculs précis et complexes. Compte tenu de la puissance de calcul centralisée au sein d’une seule machine, tous les composants du supercalculateur sont maintenus à température constante par un système de ventilation, doublé par un procédé de refroidissement liquide. Les supercalculateurs apportent un soutien indispensable aux scientifiques grâce à leurs capacités de calcul permettant ainsi de réaliser des
simulations fidèles et prédictives dans de nombreux domaines de la science et de l’industrie tels que l’astrophysique, la météorologie, l’aéronautique ou le nucléaire. Ils permettent de limiter les essais réels au strict nécessaire en étant au plus proche de la physique pour modéliser des comportements et gagner du temps, tant en termes d’efficacité que de sûreté.
A quoi sert un supercalculateur pour faire fonctionner un métavers ?
Les supercalculateurs ont plusieurs fonctions mais la principale reste la
réalisation de calculs de modélisation de systèmes physiques, chimiques ou biologiques. Or, celui de Meta est un peu différent : il n’est pas tourné vers la modélisation du réel mais vers l’intelligence artificielle (IA), clé de voûte du monde parallèle proposé par le métavers tel qu’envisagé par la société Meta.
Entretenir le métavers nécessite toute la puissance d'un supercalculateur pour deux raisons :
- l’environnement de l’univers parallèle doit pouvoir évoluer en permanence et en temps réel,
- la machine doit pouvoir interpréter et comprendre (en temps réel également), les informations qu’elle captera (reconnaissance d’images, de textes, de paroles).
En plus des capacités d’analyses du supercalculateur nécessaires au métavers, la société mère de Facebook a dû faire un effort sur les technologies de stockage.
Pourquoi l’annonce de Meta a-t-elle fait couler autant d’encre ?
Malgré l’effet de buzz médiatique qu’a produit l’annonce de Meta,
son supercalculateur ne devrait pas encore révolutionner le domaine du
calcul haute performance. D’abord, l’architecture de ce supercalculateur est assez classique, mis à part le nombre impressionnant de processeurs graphiques intégrés à la machine, composant clé au cœur de la réussite du traitement de données lié à l’IA. Bien que le futur supercalculateur de Meta devrait se classer parmi les premiers en termes de puissance, on ne peut considérer qu’il soit une révolution technologique.
La nouveauté réside dans le fait que cette machine sera tournée essentiellement vers une seule application : le métavers et que cela nécessite de réaliser des
traitements de données en masse. La majorité des autres supercalculateurs dans le monde est destinée à soutenir la recherche et l’industrie. Ces derniers servent ainsi des portefeuilles d’applications vastes et plus larges que ce que fera Meta.
C’est finalement le fait qu’un GAFA (acronyme de Google, Apple, Facebook et Amazon), un grand nom du monde du divertissement, fasse une annonce de ce type qui a fait sensation : cela reflète d’une réelle prise de conscience d’un besoin de puissance de calcul et non plus de l’unique capacité de stockage de leurs
data centers.
Meta a annoncé que la puissance de son supercalculateur sera de 5 exaflops. En comparaison avec les supercalculateurs chinois, japonais, américains, sera-t-il vraiment le plus puissant au monde une fois développé ?
Pour pouvoir comparer et mesurer la puissance des supercalculateurs, il faut utiliser la même métrique à savoir 16, 32 ou 64
bits selon la précision de calcul des
algorithmes. Les supercalculateurs dédiés à l’IA, dont celui de Meta, fonctionnent uniquement sur 32 bits, contrairement aux supercalculateurs de modélisation qui fonctionnent sur 64 bits.
Si l’on prend le classement des supercalculateurs les plus puissants au monde, le
TOP 500, Fugaku, le supercalculateur Japonais avec 442 petaflops est classé n°1.
Ce classement est basé sur des performances en 64 bits car c’est la précision nécessaire pour la réalisation de simulations numériques. Cette précision de 64 bits n’est pas nécessaire dans le domaine de l’IA où la plupart des outils n’utilisent que de la simple précision (32 bits) ou de la demi-précision (16 bits).
Ainsi pour comparer la puissance de la machine Fugaku avec le superordinateur de Meta, il faut diviser la puissance de ce dernier au moins par 2. A précision égale, l’ordinateur de Meta n’aurait plus une puissance de 5 exaflops comme annoncée par Meta, mais plutôt 1 à 2 exaflop(s). Si le supercalculateur de Meta arrive à fonctionner à pleine puissance, c’est à-dire courant 2022, a priori, il sera le plus puissant du monde si on se réfère au classement actuel (TOP 500).
Cependant, il faut savoir que ce classement est actualisé 2 fois par an, en juin et en novembre, et il est donc difficile de dire si lors de ces deux prochaines mises à jour, il n’y aura pas une machine plus puissante. En revanche, on peut raisonnablement affirmer que le supercalculateur de Meta fera partie des 5 machines les plus puissantes du monde.
Pourquoi cette puissance et pas plus ? Y-a-t-il des contraintes empêchant d’obtenir encore plus de puissance ?
La principale contrainte concerne
la consommation énergétique de ces architectures et le rapport performance/watt, car les moyens de décupler la puissance des supercalculateurs existent déjà. Il est important d’avoir des machines puissantes avec une consommation maîtrisée tout en étant capables de répondre aux besoins des applications qui les utilisent. Par exemple, celle de Meta est parfaite pour les algorithmes d’IA, mais dans le domaine de la simulation classique, il y a peu d’applications qui peuvent tourner efficacement sur ce type d’architecture sans des efforts et des investissements importants dans l’adaptation de ces mêmes applications.
De quelle consommation énergétique parle-t-on ?
Il est difficile de donner un chiffre précis, on peut cependant estimer que la consommation électrique est de l’ordre de 20 MW. La problématique principale concerne non seulement la consommation électrique de la machine, mais également l’évacuation de la chaleur produite par le supercalculateur. Le calcul haute performance ne peut malheureusement pas être frugal du fait du nombre pharaonique de calculs de précision à effectuer, et même si les cartes graphiques utilisées par Meta sont moins énergivores que les processeurs classiques pour la puissance délivrée, la consommation électrique d’un tel système reste très importante.
De nombreux progrès ont été réalisés sur l’optimisation énergétique de ces machines, comme par exemple, les circuits de refroidissement des supercalculateurs : l’eau destinée à refroidir les composants de la machine est une eau à 35°C. et tourne en circuit fermé afin d’être récupérée et réinjectée dans la machine après avoir été refroidie. Elle est parfois couplée avec des circuits de chauffages pour les bâtiments situés aux alentours à la machine.
Quel apport à nos sociétés et à la population en général ?
Le supercalculateur de Meta apportera une nouvelle forme de divertissement. Les autres supercalculateurs, ceux des mondes académique et industriel, promettent des modélisations et simulations des phénomènes physiques plus précises, tant dans le domaine de la météo que celui des sciences du vivant ou de la santé. En effet, les supercalculateurs modélisent le climat futur et comparent des modèles climatiques. Ils analysent et traitent également des données autour de la Covid et de la protéine Spike notamment. Ils rendent ainsi possibles les tests de candidats médicaments et vaccins contre la Covid de manière plus rapide.
Ils rendent par ailleurs service à l’industrie automobile : simulation de crash test, test des
matériaux et des comportements des voitures… La conception se fait de manière virtuelle, c’est aussi le cas d’ailleurs en aéronautique pour limiter les essais en vol.
Ce supercalculateur aidera-t-il les chercheurs en IA pour développer le métavers ? Si oui dans quelle mesure ?
La machine de Meta ne sera mobilisable que par les équipes de Facebook, les chercheurs et industriels n’y auront pas accès. En revanche celle du CNRS, installée à Orsay, Jean Zay, est déjà largement ouverte à la communauté scientifique spécialiste de l’IA.
Quel est le devenir des supercalculateurs ?
Le
calcul haute performance reste un marché de niche mais est indispensable pour résoudre les grands problèmes scientifiques et techniques. Le fait que les géants de l’Internet et que désormais le métavers est demandeur du calcul haute performance pour se développer peut changer la donne et va permettre certainement le développement de nouveaux marchés.
Concernant les supercalculateurs dans le monde, les Etats-Unis sortiront au cours de l’année 2022 leur première machine exafloplique. En Europe, ce sera pour 2024, et on est presque sûrs que la Chine en a une voire deux même si les Chinois ont décidé de ne pas les afficher dans le TOP 500.
L’intérêt récent des grands acteurs industriels et du numérique comme Meta ou Microsoft va, dans tous les cas, permettre de faire bouger les lignes dans le domaine.
Quelles sont les contributions du CEA sur le sujet ?
Le CEA est un acteur européen de premier plan dans le domaine du HPC, tant du point de vue de l’opération de supercalculateurs de classe mondiale avec le
Très grand centre de calcul du CEA (TGCC), que du point de vue technologique et de co-conception avec l’industriel
ATOS ou encore dans le domaine des applications numériques à hautes performances pour la science et l’industrie. Le CEA est ainsi à l’origine de grandes collaborations dans le domaine du calcul à haute performance à l’échelle européenne et internationale avec l’Allemagne ou encore avec le Japon.
Au CEA, les supercalculateurs nous servent dans différents domaines :