Les désintégrations radioactives dites « double bêta » sont caractérisées par l'émission de deux électrons et de deux antineutrinos. Si elles avaient lieu sans émission de neutrinos (ou antineutrinos), les physiciens en déduiraient que les neutrinos se confondent avec leurs antiparticules et disposeraient d'indices pour déterminer leurs masses absolues. Ils comprendraient aussi l'origine de leurs masses minuscules et de la disparition de l'antimatière dans notre Univers.
La double désintégration bêta sans neutrino 0νββ a une signature extrêmement claire et sans ambiguïté. Les scientifiques doivent identifier un pic dans le spectre de l'énergie totale déposée dans le détecteur par les deux électrons émis. La position de ce pic est connue avec une précision de plus de 0,1 %.
Cependant, des événements aussi rares que 0νββ nécessitent un bruit de fond « nul ». En effet, la radioactivité ciblée ne dépasse pas 10-13 Bq/g alors que celle de notre quotidien se chiffre en becquerels (Bq/g) ! C'est pourquoi les expériences sont installées dans des laboratoires souterrains, à l'abri des rayonnements cosmiques ou telluriques, sous plusieurs centaines de mètres de roches.
Pour aller plus loin dans la réduction des bruits, les chercheurs ont adopté les bolomètres « scintillants », capables de mesurer non seulement le très léger excès de chaleur signant la désintégration radioactive, mais également l'émission de lumière qu'elle induit par scintillation. La source, le molybdène 100 (100Mo), est incorporée dans un cristal qui agit à la fois comme un détecteur de chaleur (bolomètre) et un scintillateur. Ce concept permet d'allier une réduction drastique du fond radioactif environnant avec la résolution en énergie et l'efficacité exceptionnelles des bolomètres.
Plus concrètement, le détecteur de l'expérience CUPID-Mo (CUORE Upgrade with Particle Identification-Mo) au Laboratoire souterrain de Modane est formé de 20 cristaux de Li2MoO4 enrichis en 100Mo, d'environ 210 grammes chacun, soit 2,264 kg de 100Mo. Il a accumulé plus d'une année de données entre mars 2019 et avril 2020.
Grâce à une reconnaissance du bruit de fond dominant (les particules α) et à d'excellents niveaux de « radio-pureté », les scientifiques de CUPID-Mo sont parvenus à atteindre un bruit de fond nul pour l'analyse 0νββ. Le niveau atteint est d'ores et déjà nettement meilleur que celui obtenu dans l'expérience bolométrique internationale la plus en pointe, CUORE (Cryogenic Underground Observatory for rare Events), au Gran Sasso (Italie).
Grâce à ce bruit de fond nul, à un cycle d'exploitation efficace et à une excellente efficacité d'analyse (voisine de 90 %), les chercheurs ont obtenu un record mondial avec ce qui ne devait être qu'un démonstrateur technologique pour la future expérience CUPID devant succéder à CUORE.
Ils ont ainsi fixé une nouvelle limite mondiale pour la détection de la signature 0νββ dans 100Mo : la demi-vie obtenue (1,4x1024 an) dépasse la précédente (1,1x1024 an), obtenue par la collaboration internationale Nemo3 (Neutrino Ettore Majorana Experiment) avec une durée d'expérience plus longue et une source radioactive plus massive.
Une meilleure calibration en énergie de l'expérience est actuellement en cours et plusieurs analyses d'extraction du signal physique seront effectuées dans les mois à venir, ainsi qu'une étude approfondie du modèle pour soustraire le bruit de fond.
CUPID-Mo a réussi à combiner la technique du bolomètre à scintillation avec un choix approprié du noyau (100Mo) et du cristal (Li2MoO4) pour obtenir le rejet du bruit de fond nécessaire à la traque de 0νββ. Ses choix scientifiques et techniques – en particulier la sélection de 100Mo parmi d'autres radioéléments comme 130Te, 82Se et 116Cd – se sont imposés pour l'expérience à l'échelle de la tonne de matériau détecteur, CUPID, qui sera construite au Gran Sasso.
La collaboration a bénéficié du support technique de
l'équipe de cryogénie de l'Iramis (SPEC).