Il est généralement admis que chez les aveugles de naissance, le
cortex visuel ne peut se développer de façon normale, au point qu’il
sera impossible ultérieurement de retrouver la vue, même en cas de
correction de la cécité. En réalité, des aveugles peuvent accéder à une
sorte de vision, décrire des objets, et même identifier des lettres et
des mots écrits, grâce à un dispositif de « substitution sensorielle » (SSD) transformant les images en sons.
C’est ce que vient de montrer l’étude réalisée au Centre de Neurosciences Edmond et Lily Safra (Université Hébraïque, Jérusalem).
Cette étude a été conçue par les chercheurs de l’Université Hébraïque,
qui en ont réalisé la partie expérimentale, avec l’appui scientifique
des spécialistes français de neuroimagerie cognitive.
Concrètement, le dispositif comprend une petite caméra vidéo
incorporée à des lunettes, un ordinateur portable (ou un Smartphone)
transformant l’image en sons, et un casque stéréo pour entendre ces sons. Par exemple, une ligne oblique sera transformée en un son de plus en plus aigu (ou de plus de plus grave). Le même principe permet de coder sous forme auditive des images beaucoup plus complexes.
Les
aveugles peuvent atteindre avec ce système une acuité « visuelle »
meilleure que celle qui définit la cécité selon les critères de l’OMS.
Après seulement 70 heures d’un entraînement spécialisé, les
aveugles parviennent à classer correctement des images en différentes
catégories (visages, maisons, etc.). Ils peuvent également
percevoir d’autres informations importantes, comme la localisation des
personnes présentes dans la pièce ou quelques expressions faciales. Ils
parviennent même à lire des lettres et des mots.
Au-delà
des performances autorisées par ce système de substitution sensorielle,
les chercheurs de l’Université Hébraïque ont cherché à comprendre ce qui se passe dans le cerveau des aveugles lorsqu’ils apprennent à « voir » grâce aux sons. Pour cela, ils ont mis au point une étude d’IRM fonctionnelle avec un paradigme spécifique.
En particulier, ils ont montré que les
régions du cortex normalement dédiées à la perception visuelle, dont
l’utilité est incertaine chez les sujets aveugles, sont fortement
activées lors de la « vision sonore » de visages, de maisons, de mots,
etc.
Non seulement le cortex visuel s’active, mais en outre il montre une spécialisation fonctionnelle « normale »
pour les différentes catégories d’objets. Ainsi, chez les sujets
voyants, une région bien précise du cortex visuel de l’hémisphère gauche
(connue sous le sigle de VWFA), est connue pour s’activer plus
fortement lors de la perception de chaînes de lettres que lors de la
perception d’autres types d’objets. Or c’est très exactement la même
région qui s’active lorsque les sujets aveugles lisent des lettres grâce
au dispositif de « vision sonore ».
Le fait que cette
spécialisation pour la lecture se développe après seulement quelques
heures d’entraînement, met en évidence un degré remarquable de
plasticité cérébrale » explique Stanislas Dehaene (Centre d’imagerie NeuroSpin).
Ces résultats soutiennent l’idée que le cortex dit visuel est en
réalité spécialisé pour l’analyse des formes des objets, et qu’il peut
exercer cette fonction sur une entrée visuelle (comme c’est en général
le cas), mais aussi, en cas de besoin, sur une entrée auditive ou
tactile.
Ces résultats suggèrent qu’il pourrait être
possible, moyennant une technologie et une réadaptation appropriées , de
‘réveiller’ certaines régions cérébrales et d’accéder à certains
aspects du monde visuel, même après des années, voire une vie entière,
de cécité », conclut Laurent Cohen (Centre de recherche de l’ICM).