Une
émulsion, mélange de deux liquides a priori non miscibles, conserve sa stabilité dans le temps à l'aide d’une molécule spécifique tensioactive, l’émulsifiant. Un des liquides forme alors des gouttes isolées au sein de la matrice continue de l'autre liquide.
Il est plus compliqué de former une
émulsion double, où l’on souhaite, par exemple,
disperser de l’eau dans des gouttes d’huile elles-mêmes dispersées au sein d’une matrice d’eau, un peu comme un jeu de « poupées russes ». L’intérêt est de pouvoir transporter et protéger au cœur de telles émulsions des molécules fragiles (comme des vitamines dans une crème, sensibles à l’oxydation au contact de l’air) et de pouvoir les libérer de manière contrôlée. Il s’agit d’un
enjeu important dans les domaines de la pharmacie, des cosmétiques ou de l'agro-alimentaire.
Les émulsions multiples requièrent usuellement au moins deux tensio-actifs différents pour concilier les interfaces formées par les gouttelettes d’eau dans l’huile, et celles formées par les gouttelettes d'huile dans l’eau. Elles nécessitent aussi au moins deux étapes de préparation par agitation et sont le plus souvent très instables.
Le travail de recherche publié dans
Advanced Materials montre que
de nouveaux copolymères diblocs, utilisés comme tensioactif, permettent de former en une seule étape de telles émulsions multiples, stables sur plusieurs mois. Ces copolymères sont stimulables par le pH et la température, permettant ainsi de contrôler la libération de molécules encapsulées.
La
méthode utilisée est étroitement liée à la composition et à l’architecture de l’émulsifiant, constitué de deux monomères. L’un deux est plutôt hydrophobe tandis que l’autre, plutôt hydrophile, présente la particularité d’être modulable selon la température ou le pH. En effet,
mélangés à de l’huile et de l’eau, les copolymères sont assez tensio-actifs pour former des émulsions d’huile dans l’eau à pH acide et à basse température, tandis qu’à pH basique et à haute température, on obtient, par inversion de phase, des émulsions d’eau dans l’huile. Ainsi, en agissant sur le pH ou la température, il est possible d'obtenir une transition depuis une émulsion simple d’huile dans l’eau, à une autre d’eau dans l’huile. Au cours de la variation pH-température, on observe alors pour certaines valeurs (T, pH) la formation d'émulsions multiples, stabilisées durablement par ce seul copolymère (voir la 3ème image ci-dessous). Corrélativement, on observe une forte réduction de la tension interfaciale eau-huile dans la zone de stabilité des émulsions multiples.
* SIMM : Sciences et Ingénierie de la Matière Molle - Université Pierre et Marie Curie / Ecole Supérieure de Physique et de Chimie Industrielles / CNRS.
Diagramme de phase pH-température : triangles pleins = émulsions huile dans eau, triangles vides = émulsions multiples, carrés = émulsions eau dans huile, avec une ligne de transition très raide entre ces deux dernières phases autour de pH 6. La courbe bleue correspond à la tension interfaciale eau-huile, avec un comportement singulier dans la zone de transition.
Des études se poursuivent actuellement par la
caractérisation en diffusion de neutrons et cryo-microscopie électronique, des nanostructures associées à chaque type d’émulsion. Un autre développement consistera à
généraliser le procédé à d’autres polymères biocompatibles, visant des applications médicales ou agroalimentaires.