Cette nouvelle méthode de marquage isotopique (1) de molécules
d’intérêt biologique utilise des nanocatalyseurs de ruthénium. Elle est
applicable sur une large variété de produits et présente plusieurs
points forts :
- Elle se fait en conditions de chimie douce, sans chauffage ni
pression extrême, ce qui facilite le marquage de molécules fragiles ;
- Son champ d’application est large et permet de marquer des motifs récurrents dans des médicaments ou des substances bioactives ;
- Enfin, elle permet d’incorporer à des endroits précis un grand
nombre de deutérium, de façon à marquer sélectivement une fonction ou
une partie spécifique de la molécule.
Le marquage isotopique est utilisé pour étudier le devenir in vivo
de molécules actives (médicaments, insecticides, conservateurs…). Il
s’agit de ‘’coller’’ sur ces molécules une étiquette qui permettra de
les détecter de manière sensible, sans dénaturer leur interaction avec
leur environnement biologique. Une technique consiste à substituer
certains atomes (H, C, F…) de la molécule à étudier par leurs isotopes,
radioactifs ou non.
Ainsi, remplacer un ou plusieurs atomes
d’hydrogène par du deutérium permet de quantifier une molécule et ses
métabolites par spectrométrie de masse. En substituant un atome
d’hydrogène par un tritium (radioactif), il devient possible de
détecter, à des quantités très inférieures au milliardième de gramme,
une molécule dans des fluides biologiques et, par imagerie, sur des
coupes tissulaires.
Deux approches sont possibles pour marquer des molécules au deutérium ou au tritium :
- L’une consiste à construire la molécule en plusieurs étapes en
utilisant des briques de base contenant déjà l’isotope ou un précurseur
permettant son introduction.
- L’autre fait appel à une réaction de catalyse qui permet de
substituer directement un ou plusieurs atomes d’hydrogène précis sur la
molécule de départ par son isotope deutérium ou tritium. Cette deuxième
approche est la plus intéressante : elle est plus rapide, moins coûteuse
et à plus faible impact environnemental.
Dans leur étude publiée dans Angewandte Chemie, les chercheurs
du CEA (2) et du CNRS (3) ont considérablement fait progresser la
seconde méthode de marquage en utilisant des nanoparticules de ruthénium
capables de fixer à leur surface du deutérium. En effet, ces
nanoparticules catalysent avec une grande efficacité le marquage au
deutérium de molécules d’intérêt biologique. Elles peuvent être mises en
œuvre dans des conditions de chimie douce et pour une large gamme
d’applications.
(1) Les isotopes sont des atomes dont le noyau possède le même nombre de protons et un nombre différent de neutrons. Ils ont les mêmes propriétés chimiques. Ainsi, l’hydrogène compte trois isotopes : l’hydrogène léger (un proton et pas de neutron), le plus répandu et appelé hydrogène, l’hydrogène lourd ou deutérium (un proton et un neutron), et le tritium (un proton et deux neutrons). Ce dernier est radioactif.
(2) CEA-iBiTec-S (Institut de biologie et de technologies de Saclay) & CEA-Iramis (Institut Rayonnement Matière de Saclay)
(3) LPCNO, Laboratoire de Physique et Chimie de Nano-Objets (CNRS/INSA Toulouse/Université Toulouse 3 – Paul Sabatier) et LCC, Laboratoire de Chimie de Coordination (CNRS)
L’efficacité de cette nouvelle méthode a été
démontrée par le marquage d’une dizaine de molécules d’intérêt
biologique de natures différentes, telles que des antidépresseurs, un
vasodilatateur, une hormone humaine, un antitussif ou encore la
nicotine.
Dans l’industrie pharmaceutique, cette technique
innovante de marquage isotopique est susceptible de faire gagner
plusieurs mois dans des études visant le développement de molécules à
but thérapeutique. En effet, la large gamme de molécules concernées et
la possibilité d’utiliser le tritium gaz comme source d’isotopes devrait
permettre un accès rapide à des molécules radiomarquées complexes à
coût réduit, ainsi qu’une diminution de la quantité d’effluents
radioactifs par rapport aux méthodes classiquement employées. Les
chercheurs travaillent désormais à l’utilisation de ces nanocatalyseurs
pour le marquage de molécules d’intérêt biologique comportant d’autres
types de fonctions chimiques.