La chimie dite bio-orthogonale, c'est-à-dire bio-compatible et
hautement sélective, est en plein essor. Elle est la source des outils
chimiques innovants permettant de modifier du matériel biologique, à
souhait et avec des performances inégalées. Cette nouvelle chimie,
applicable au vivant, est la base du développement de nombreuses
technologies associées à la santé. Parmi les réactions chimiques
bio-orthogonales, le couplage entre les azotures et les alcynes,
fonctions chimiques non naturelles, catalysé par des complexes de
cuivre, est l’une des plus utilisées. Cette réaction, impliquant trois
composés, les deux réactifs et le catalyseur à base de cuivre, est très
chimio sélective. Son utilisation dans des milieux biologiques très
complexes, tel que les milieux cellulaires, a cependant plusieurs
inconvénients, dont la nécessité d’utiliser un excès de cuivre, ce qui
provoque une forte toxicité voire une mort cellulaire.
En partant
du principe simple qu’une réaction impliquant deux composés au lieu de
trois est plus favorable, les chimistes du CEA-IBITECS, en étroite
collaboration avec ceux de l’Unistra et du CNRS, ont développé un
réactif comprenant dans sa structure à la fois la fonction azoture et un
complexant du cuivre.
Structure générique des azotures chélatants développés par les chercheurs du CEA-IBITECS en collaboration avec l’Unistra et le CNRS Ces composés permettent d’assembler - ou de « clicker » - deux éléments (rond bleu et étoile rouge) de façon spécifique : les autres éléments présents n’interagissent pas avec la réaction. Ceci est rendu possible en fixant sur le premier élément un dipôle appelé azoture (N3) possédant une structure complexant un atome de cuivre et sur l’autre, un groupement alcyne (triple barre en bleu). Ces réactifs peuvent par exemple servir à comprendre le mode d’action d’un médicament lorsque l’on a préalablement introduit sur celui-ci le groupement alcyne et un groupement fluorescent sur l’azoture chélatant. Crédit : F. Taran/CEA
Ce type d’azoture chélatant se conduit à la fois comme réactif et comme
catalyseur. Sa capacité à réagir avec des alcynes devient alors
spectaculaire. La vitesse de réaction est multipliée par 40 000 et le
couplage devient aussi efficace en milieu simple qu’en milieu complexe.
En conditions de haute dilution, le couplage s’effectue en moins de
trente secondes, y compris dans des environnements aussi complexes que
le sang ou les milieux cellulaires. Ces propriétés particulières ont
permis de montrer pour la première fois que ce type d’azoture chélatant
peut être couplé avec succès à un alcyne directement à l’intérieur d’une
cellule.
Applications
Le champ d’application de ces nouveaux réactifs de couplages est varié. Il peut s’étendre de la chimie médicinale (assemblage de médicaments à des anticorps thérapeutiques…) jusqu’aux biotechnologies (traceurs pour l’imagerie médicale à base de 64Cu…).
Dans le cadre de cette étude, les azotures chélatants ont été utilisés pour localiser un médicament à l’intérieur d’une cellule. Ainsi, une fonction alcyne a été introduite dans la structure du paclitaxel, un anticancéreux bien connu. Ce dérivé de paclitaxel a alors été mis au contact de cellules cancéreuses. Après une période d’incubation, un dérivé d’azoture chélatant fluorescent a été additionné. Après incubation puis lavage des cellules, une fluorescence a clairement été identifiée dans les microtubules associée au paclitaxel, démontrant ainsi l’efficacité du couplage chimique à l’intérieur des cellules.
Ces réactifs permettent donc de localiser un médicament dans une cellule et d'identifier la cible biologique du médicament. En d’autres termes, ces résultats permettent de comprendre le mode d'action des médicaments au cœur même de leur zone de fonctionnement.