A la naissance, les nouveau-nés sont capables de distinguer des
syllabes proches, de reconnaître la voix de leur mère, et de
différentier différentes langues humaines. Ces capacités chez le petit
humain sont-elles dues à la présence de mécanismes innés propres à
l’espèce humaine pour traiter la parole, ou à un apprentissage rapide
des caractéristiques de la voix maternelle pendant les dernières
semaines de grossesse ?
Pour le savoir, Fabrice Wallois, directeur
de l’unité mixte de recherche UPJV/Inserm « Groupe de Recherche sur
l’Analyse Multimodale de la Fonction Cérébrale » (GRAMFC), et Ghislaine
Dehaene-Lambertz, (Inserm, NeuroSpin/Commissariat à l’énergie atomique
et aux énergies alternatives (CEA), Université Paris-Sud) en
collaboration avec des praticiens hospitaliers du CHU Amiens Picardie,
ont testé les capacités de discrimination auditive de 12 nouveau-nés
prématurés de 28 à 32 semaines d’aménorrhée, c’est-à-dire nés 2 à 3 mois
avant le terme.
A ce stade de développement, le cerveau est
immature puisque les neurones sont encore en train de migrer vers leur
localisation définitive. Néanmoins, les premières connexions entre le
cerveau et le monde extérieur se mettent en place, notamment celles
permettant au fœtus d’entendre les sons, ce qui permet d’enregistrer les
premières réponses cérébrales aux stimulations externes.
Les
auteurs de cette étude ont stimulé auditivement les nouveau-nés
prématurés, en les exposant à deux sons de syllabes proches (« ga » et «
ba ») prononcées soit par un homme soit par une femme. Ils ont
enregistré leur réponse cérébrale grâce à l’imagerie optique
fonctionnelle (spectroscopie proche infra-rouge). Les chercheurs ont
ainsi pu montrer que malgré leur cerveau immature, les prématurés sont
réceptifs aux changements de voix (homme ou femme) et aux changements de
phonèmes (« ba » ou « ga ») (figure 1).
De
plus, les ensembles ou réseaux de neurones impliqués chez le prématuré
sont très proches de ceux décrits chez l’adulte dans le même type de
tâche. Ils sont asymétriques et impliquent notamment les régions
frontales. Comme chez l’adulte, la région frontale droite répond à la
nouveauté, quel que soit le changement, alors que la région frontale
gauche, ou région de Broca, ne répond qu’au changement de phonème.
Figure 1 : Projection des activations sur le cerveau d’un prématuré de 30 semaines d’aménorrhée. Le changement de phonème entraine une augmentation de l’activité cérébrale dans les régions temporales et frontales, notamment à gauche. La réponse au changement de voix est plus limitée, et ne concerne que la région frontale inférieure droite. (© PNAS)
Ces résultats démontrent que très précocement, dès
l’établissement des premières connexions cérébrales (trois mois avant le
terme) et avant tout éventuel apprentissage, le cerveau humain est
équipé pour traiter les caractéristiques particulières de la parole
humaine grâce à une organisation sophistiquée de certaines aires
linguistiques cérébrales (régions péri-sylviennes droite et gauche).
L’organisation des aires cérébrales étant gouvernée par l’expression des
gènes au cours du développement du fœtus, les auteurs suggèrent que
l’apparition du langage est en grande partie influencée par la génétique
et donc par des mécanismes innés.
Ces résultats sont issus des recherches de l’unité de recherche Inserm U1105 « Groupe de Recherche sur l’Analyse Multimodale de la Fonction Cérébrale » de l’Université de Picardie Jules Verne (UPJV) et de l’unité de recherche Inserm U992 « Neuroimagerie cognitive », NeuroSpin/CEA.