Un article extrait des
Défis du CEA n°247 de janvier / février 2022.
Deux ans auparavant... Le début de la pandémie
30 janvier 2020 : un mois après l’annonce officielle par la Chine de premiers cas d’une forme grave de pneumonie d’origine inconnue,
l’OMS déclare que l’épidémie constitue «
une urgence de santé publique de portée internationale ». A Fontenay-aux-Roses, au sein du CEA-Jacob, Roger Le Grand sait déjà que
Idmit, l’infrastructure nationale en biologie et santé qu’il dirige, aura un rôle à jouer : «
nous avons très vite été sollicités par les autorités sanitaires françaises, notamment par Reacting ». Et pour cause.
Idmit centralise en un même lieu à la fois des experts venant de plusieurs organismes et des équipements de pointe pour se consacrer à la recherche sur les maladies infectieuses, avec la possibilité de pouvoir conduire des
études précliniques sur des
primates non humains (PNH). Celles-ci restent encore aujourd’hui un passage obligé pour tester des solutions thérapeutiques et vaccinales avant de les étudier chez l’humain. Elles y sont conduites dans un cadre réglementaire très strict et selon la règle éthique dite des 3R (réduction, raffinement, remplacement).
De l’importance d’un modèle animal
Dès la fin février 2020, la souche, isolée par l’Institut Pasteur, arrive dans le laboratoire de haute sécurité d’Idmit. L’urgence est alors de mettre au point un « modèle animal » de l’infection par le virus,
mimant le développement de la maladie chez l’humain. Ce sera chose faite dès la mi-mars, avec un modèle de PNH. «
Les macaques s’infectent naturellement par le SARS-CoV-2 (le virus responsable de la Covid-19) et ont un système immunitaire très proche de celui de l’humain, indique Roger Le Grand. La Covid-19 se manifeste chez eux avec les mêmes symptômes et selon une évolution clinique très comparable, ce que nous avons pu montrer. » Grâce à ce modèle, les équipes vont mener de front trois chantiers : étudier la physiopathologie de la Covid-19, c’est-à-dire décrypter ses mécanismes de transmission et d’infection, tester des vaccins et des traitements.
Repositionner des médicaments
Pour l’être humain, la maladie est totalement nouvelle. Aucun traitement efficace n’existe. La voie la plus rapide pour espérer trouver
une solution est de « piocher » dans les molécules thérapeutiques existantes, dont on pense qu’elles pourraient avoir une action contre la Covid. Autrement dit, faire du « repositionnement thérapeutique ». Très vite, la chloroquine (un antipaludéen), propulsée sur le devant de la scène médiatique par le Pr. Didier Raoult le 25 février, s’invite dans le débat scientifique. Son dérivé, l’hydroxychloroquine, connu pour provoquer moins d’effets secondaires1, sera inséré dans l’essai clinique européen Discovery conçu pour évaluer quatre traitements expérimentaux. L’étude est lancée le 22 mars 2020. Idmit participe aux travaux et teste les effets de la molécule chez le PNH dans plusieurs configurations,
seule ou en association avec l’azithromycine (un antibiotique), aussi bien avant qu’après l’exposition au virus (immédiatement, puis à J+5), à forte comme à faible dose. «
Dans aucune des situations, nous n’avons vu un impact sur la réplication virale, y compris dans les poumons, siège majeur de l’infection. Le traitement n’est pas efficace sur nos modèles animaux », assure Roger Le Grand. Les résultats seront rapidement communiqués à l’OMS, puis publiés dans
Nature en juillet 2020.
Depuis deux ans,
une dizaine de molécules de repositionnement ont ainsi été testées à Idmit, sans qu’aucune ne se soit révélée efficace. «
L’ivermectine, antiparasitaire vétérinaire, également très médiatisé, n’a pas fonctionné, tout comme des anti-VIH. Au vu de nos résultats précliniques sur ces derniers, les deux essais cliniques prévus en France, l’un en traitement, l’autre en prévention, n’ont d’ailleurs pas été lancés. »
Trouver de nouveaux traitements
Partout dans le monde, de nouvelles stratégies thérapeutiques sont explorées, parmi lesquelles des
anticorps monoclonaux. Le président Donald Trump en avait d’ailleurs bénéficié en octobre 2020, dans un traitement expérimental. «
Nous avons étudié plusieurs anticorps monoclonaux dirigés contre la souche virale initiale, certains en collaboration avec des industriels, d’autres avec des structures académiques. Depuis 2012, nous avons en effet construit un grand réseau de partenariats, notamment en Europe. C’est pourquoi ces équipes internationales sont naturellement venues nous solliciter », commente Roger Le Grand. Dans les études précliniques,
ces macromolécules sont efficaces en prévention ou peu de temps après l’infection, mais beaucoup moins en thérapie. Mais compte-tenu de leurs prix, il s’agit d’un marché de niche, réservé pour l’instant aux personnes les plus fragiles. «
Nous participons actuellement à un grand consortium européen nommé Care qui développe de nouvelles générations d’anticorps, plus efficaces et plus abordables », ajoute l’expert.
L’autre classe de molécules thérapeutiques explorée est celle des
antiviraux, à l’instar du traitement Paxlovid de Pfizer, qui agissent en diminuant la capacité du virus à se répliquer, freinant ainsi la maladie.
Le microscope biphotonique pour l'imagerie
ex et in vivo à l'échelle cellulaire permet de suivre les interactions hôte-pathogène. © L. Godart / CEA
Des vaccins et des rappels
Face à une telle pandémie, la question de la mise au point d’un
vaccin s’est d’emblée posée. Deux ans plus tard,
dix vaccins bénéficiant d’une autorisation d’utilisation d’urgence par l’OMS sont déjà utilisés dans le monde, dont cinq en Europe sous autorisation d'utilisation conditionnelle2 délivrée par l’Agence européenne du médicament. Malgré cela,
plus de 300 candidats-vaccins sont encore en cours de développement,
dont 140 en essais cliniques3. Et ce, pour plusieurs raisons que Roger Le Grand détaille : «
les vaccins à ARN messager, comme ceux de Pfizer et Moderna, très efficaces en première intention, souffrent d’une courte durée d’efficacité. Face à un virus qui persiste dans l’environnement, des rappels sont nécessaires, mais nous avons peu de recul sur l’utilisation répétée de technologies à ARNm. En revanche, nous disposons d’un long historique sur le fonctionnement, l’efficacité et l’innocuité de formules plus classiques, comme celles à base de protéine recombinante, même si leur production est plus longue et plus coûteuse. J’ajoute que la recherche doit aussi continuer à explorer d’autres
possibilités ».
Architecture de la particule vaccinale testée à Idmit, constituée de 20 protéines Spike associées à 12 autres protéines (des pentamères de ferritine) © P.J.M. Brouwer et al., Cell, 184 (2021)
La piste des vaccins protéiques…
Plusieurs de ces
candidats-vaccins protéiques sont fondés sur des approches innovantes, comme la formule développée au
CEA-Irig par l’équipe de Winfried Weissenhorn,
initialement développée pour un vaccin contre le VIH et ici adaptée au SARS-CoV-2. «
Ce sont des
liposomes synthétiques recouverts de la protéine Spike du virus (qui lui permet de pénétrer dans les cellules humaines). Ces structures que nous avons testées en études précliniques, ressemblent par leur taille et leur configuration de surface à des particules virales », précise Frédéric Martinon, chercheur à Idmit. Une autre approche développée dans le cadre d’une collaboration entre Idmit et le
Vaccine Research Insitute (Inserm, Université Paris-Est Créteil) consiste à
fusionner une protéine du virus avec un anticorps monoclonal ciblant des cellules immunitaires majeures, dites dendritiques, faisant ainsi d’une pierre deux coups : l’anticorps, en se fixant sur les cellules dendritiques, délivre la protéine virale exactement au bon endroit, là où commence la réponse immunitaire. «
Nous avons aussi testé, en collaboration avec l’université d’Amsterdam,
un assemblage entièrement constitué de protéines. Tel un Lego, il comprend 20 protéines Spike associées à 12 autres protéines (des pentamères de ferritine au préalable testées pour leur innocuité), l’ensemble atteignant environ la taille d’un petit virus. » Comme le pressentaient les chercheurs,
toutes ces stratégies basées sur la présentation de protéines virales ont obtenu d’excellents résultats précliniques, avec une forte production d’anticorps neutralisants, protecteurs contre l’infection, ouvrant la voie au lancement d’essais cliniques.
… et celle des vecteurs viraux
Parmi les stratégies vaccinales, l’utilisation de vecteurs viraux, connue de longue date, est aussi une option explorée. L’idée est de faire produire dans l’organisme une protéine du SARS-CoV-2 en se servant de la machinerie d’un autre virus, inoffensif. Des très beaux résultats ont ainsi été obtenus avec un vecteur
nommé AAVCovid, appartenant à une famille de virus non pathogènes pour l’homme . «
Le gène codant la protéine Spike y a été introduit, de sorte que celle-ci soit directement exprimée dans les cellules humaines. Nos tests ont montré une réponse immunitaire forte et stable pendant au moins huit à douze mois, et ce avec une seule dose que l’on peut conserver à température ambiante », s’enthousiasme Frédéric Martinon. Les essais cliniques sont déjà envisagés dans différentes régions du monde.
Comprendre la pathologie
Il est aussi crucial de
comprendre le fonctionnement de cette nouvelle maladie, tout comme l’impact des différents variants du virus, dont les principaux sont testés à Idmit (alpha, bêta, delta, omicron…). Pourquoi tel variant est-il plus transmissible ou plus actif qu’un autre ? Est-ce dû à son organisation moléculaire ? Contourne-t-il mieux la réponse immunitaire de son hôte ? Ces pistes sont toutes explorées, toujours en collaboration avec d’autres instituts. La Covid-19 affecte également le
microbiote intestinal, comme pour la grippe. La maladie altère ainsi un allié indispensable à notre système immunitaire, notamment via les acides gras qu’il produit.
La Covid-19 cause des lésions pulmonaires visibles en imagerie TEP-TDM : contrôle avant infection (à gauche), 2 jours après infection (au milieu, flèche rouge) et 5 jours après infection (à droite). © Idmit / CEA
Des déséquilibres importants ont été notamment observés entre les différents microorganismes – principalement des bactéries, mais aussi des virus, parasites et champignons – qui le composent. Dès le début de la pandémie, des pédiatres ont questionné les équipes de Fontenay-aux-Roses sur la susceptibilité des nouveau-nés à l’infection. «
Nous avons montré que le virus se répliquait tout aussi bien chez les nourrissons que chez les adultes, mais avec des signes d’inflammation et de pneumonie très faibles », résume Roger Le Grand. Une découverte importante, confirmant aussi le rôle des enfants, et même des plus jeunes d’entre eux, dans la propagation de l’épidémie.
Ces résultats ne sont qu’un extrait des multiples études réalisées au sein d’Idmit, qui consacre aujourd’hui
40 à 50 % de ses activités à la lutte contre la Covid-19. Un ratio qui devrait, selon toute vraisemblance, perdurer encore un certain temps.
Reacting
Ce consortium multidisciplinaire, piloté par l’Inserm, a été créé en 2013 pour coordonner la recherche française en cas d’épidémie liée à des maladies infectieuses émergentes et ré-émergentes. Il a fusionné le 1er janvier 2021 avec l’ANRS (ex. Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales) pour devenir « ANRS | Maladies infectieuses émergentes », agence autonome de l’Inserm.
1 La chloroquine et son homologue l’hydroxychloroquine ont le même mode d’action, mais un profil d’utilisation différent.
2 AMM (autorisation de mise sur la marché) provisoire délivrée en cas d’urgence de santé publique. Elle peut devenir une AMM standard si les fabricants des vaccins fournissent toutes les données scientifiques nécessaires à son établissement, selon un calendrier défini.
3 Chiffres au 28 janvier 2022.
4 Collaboration Université de Harvard, CEA, Inserm et Université Paris-Saclay. Financement Fondation Bill et Melinda Gates.