« Comment des cellules qui mesurent près de cinquante microns de large, lorsqu'elles s'étalent sur des boîtes de culture, peuvent-elles passer au travers de constrictions dix fois plus petites dans les tissus les plus denses de l'organisme ? », expose Manuel Théry, biologiste au CEA-Irig où il a co-fondé le CytomorphoLab. Depuis une dizaine d'années, l'équipe cherche à déterminer les principes élémentaires qui régissent l'architecture intérieure des cellules. Au centre de ses études, deux éléments clés du cytosquelette : l'actine et les microtubules, que les chercheurs ont décidé d'étudier non pas séparément mais ensemble. Une approche novatrice avec laquelle ils étaient parvenus à contrôler la forme et la division de cellules souches. Une première à l'époque !
C'est par cette approche qu'ils découvrent aujourd'hui les mécanismes à l'œuvre dans la transformation morphologique des cellules. Cette contorsion cellulaire se fait au prix d'un effort mécanique considérable, classiquement attribué à la contraction des filaments d'actine par des moteurs moléculaires, les myosines. Or, il s'avère que ces moteurs ne sont pas suffisants pour comprimer la cellule toute entière et lui permettre de s'infiltrer dans les plus petits interstices. Les chercheurs sont alors partis de l'hypothèse que les microtubules étaient également impliqués, jouant le rôle de capteurs de force, et en ont démontré l'effet direct et la mesure précise. Une nouvelle première !
« Exercer ces forces à l'intérieur même de la cellule reste bien loin de notre portée. Mais l'un des chercheurs de l'équipe s'était intéressé auparavant à la plasticité des noodles (nouilles asiatiques) ! Cela nous a inspiré un dispositif basé sur une sorte de film plastique où sont greffées des cellules vivantes ; film que l'on étire afin de leur imposer des déformations précises ». Grâce à ce dispositif, ils ont exercé des forces à des vitesses, fréquences, directions et cycles de pression-relaxation parfaitement contrôlés : « les étirements sont minimaux, de l'ordre de 10 %, c'est-à-dire que les cellules mesurant par exemple vingt microns ne sont étirées que sur deux microns, ce qui est à peine visible au microscope », précise le directeur de recherche.
En caractérisant l'effet de ces faibles contraintes à l'intérieur des cellules, les chercheurs ont observé que les microtubules, en général très dynamiques, se plient et se stabilisent lorsque les cellules sont compressées. Et ce sont les protéines habituellement situées à leur extrémité en croissance, impliquées dans leur élongation rapide, qui assurent cette stabilisation en se repositionnant dans les zones déformées. « Les microtubules réagissent aux étirements de manière extrêmement sensible : moins de deux minutes de déformation suffisent à les stabiliser pendant une demi-heure, ce qui confère à la cellule une forme de mémoire de ce qu'elle a subi ». Une autre découverte qui conforte par ailleurs l'hypothèse à contre-courant des chercheurs, selon laquelle les microtubules ne constituent pas le système « osseux » de la cellule, sa charpente, mais bien son système nerveux.
A nouveau un beau résultat pour l'équipe qui étudie la cellule sous toutes ses coutures et, un jour peut-être, parviendra à en créer une version artificielle.
Dans les microscopes du CytomorphoLab, le film.